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est très notable. Il dit en quoi consiste son obligation personnelle aux missionnaires qu’il a vus travailler et avec lesquels il a travaillé en union : c’est qu’ils lui ont inspiré le désir de « prendre leur esprit, » de « chrétiennement prêcher l’Évangile. »

Qu’est-ce à dire ? Sans doute c’est la forme, d’abord, que vise cet éloge reconnaissant. État-major de l’armée des missionnaires de M. Vincent, M. de Chandenier et ses collègues ont apparemment parlé comme les simples soldats et comme le saint lui-même : dans une simplicité toute nue, dans l’ « horreur » de « se prêcher eux-mêmes, et non pas Jésus-Christ[1]. » Des plans très clairs, sobrement divisés, et avec le relief d’une netteté insistante ; — quelques idées fortes, dominant chaque partie, enchaînées non par leurs développements, mais par leurs sommets : — des préceptes précis, analogues aux « ordonnances » quotidiennes d’une retraite ; — de la lumière beaucoup, et, rien qu’à la fin, du sentiment ; — un mélange de doctrine catéchétique et de « direction » très pratique. — Et de fait, telle est bien la méthode didactique, le ton « facile et familier » que, depuis 1658-1659 jusque vers 1661, Bossuet va s’efforcer et réussir à prendre. Judicieusement, on l’a remarqué (Sainte-Beuve) ; abondamment, on l’a prouvé (Eugène Gandar) ; à leur suite, tous les critiques littéraires ont reconnu que cette période de 1658 à 1661 tranche aussi distinctement dans l’histoire de l’éloquence de Bossuet qu’une « couche » dans la série des superpositions terrestres.

Mais « prêcher chrétiennement, » cela s’entend du fond aussi. Cela signifie prêcher avec une exactitude rigoureuse, avec courage, sans atténuations, sans voiles, les enseignements logiques qui découlent du Christ, de son Incarnation, de sa Rédemption. Voilà ce qu’entendent par ce terme, dont ils se servent volontiers, les Jansénistes, depuis Saint-Cyran jusqu’à Quesnel, depuis M. Hamon jusqu’à Nicole. Or, sans doute, — et j’ai hâte de le dire, — il s’en fallait de beaucoup que saint Vincent de Paul permît à ses missionnaires de pactiser avec le Jansénisme, avec ses affirmations dogmatiques, ses préférences cultuelles, et surtout ses graves et dangereuses curiosités. Mais sur la sévérité de la loi, leur permettait-il plus que les Jansénistes de

  1. Ce sont les mots de saint Vincent de Paul en ses lettres ou allocutions. Cf. Maynard, II, 393, 405, etc.