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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




Ce fut très beau, très simple et très grand. Un cénotaphe avait, toute la nuit, figuré le séjour des morts sous la porte de gloire. Au matin, les vivants, chefs et soldats, y passèrent, derrière d’innombrables drapeaux déchiquetés. Ce qu’il y a de meilleur dans l’âme de vingt peuples faisait comme une atmosphère très pure autour des troupes qui défilaient et de la foule qui les acclamait, les baignait, pour ainsi dire, les trempait en commun dans la flamme et dans la lumière. Une sorte de familiarité, de camaraderie admirative, renouait le lien, réveillait la parenté, et, subitement chauffée à blanc, fondait ensemble l’armée et la nation. L’unité de sentiment était telle en cette minute que malheur eût pris à quiconque eût paru nourrir la pensée folle et impie de la troubler. Les cœurs étaient pleins d’une joie grave ; chaque Français fêtait avec tous les Français la France remontée au faîte ; suivant, sans le savoir, le précepte du poète, il aimait, dans ce spectacle qu’il n’avait encore jamais vu, ce que jamais il ne verrait deux fois, et la police de ces millions de curieux fut facile. Mais, aujourd’hui, l’unique spectacle est d’hier ; ce n’est plus qu’un souvenir unique. Gardons-le précieusement, car une vertu y réside. Pour l’esprit comme pour les yeux, l’Arc de Triomphe est au sommet d’une allée blanche, où flottent des banderoles aux couleurs vives, tout entouré de victoires d’or. Les troupes arrivent rang par rang, se suivent, s’écoulent, et l’on frémit à voir tous ces jeunes hommes, tous ces hommes mûrs, si vite mûris, qui reviennent des terres de l’épouvante. Dans le fond, par delà la haute voûte, c’était la guerre et la mort. Il semble, dès qu’ils ont franchi le seuil sacré, qu’ils rentrent dans la vie et dans la paix. Ils y rentrent en masse, après cinq années qui les ont rendus probablement assez différents de ce que nous sommes, peut-être tout différents de ce