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qualité, parce que, devant valoir par son exécution, il peut et pourra longtemps, dans le détail, être mis au point. Longtemps, certes ; la liste des délais qu’il ouvre ne remplit pas moins de treize ou quatorze pages du plus grand format, et la liste des Commissions qu’il institue serait à peu près de la même longueur. Ce sont bien des affaires. Nous gardons la ferme confiance que l’on en viendra à bout ; mais nous n’en sommes pas au bout. D’ici là, il s’agit de vivre, de revivre. La paix ne nous rendrait rien, si elle ne nous rendait la vie. Pour vivre, il faut travailler ; mais pour travailler, il faut deux choses : il faut le vouloir et le pouvoir. C’est à merveille que le gouvernement se tourne vers le pays, et lui dise : Travaille ! Mais le pays pourrait se retourner vers le gouvernement et lui crier : Gouverne ! Administre ! Rassure !

Pour travailler (et nous prions de croire qu’il nous serait facile de mettre un fait sous chacun de ces mots), il faudrait pouvoir reconstruire, acheter, importer, transporter des machines, des métiers, des matériaux, des matières premières. Il faudrait que la journée de travail ne fût pas arbitrairement réduite, quand on ne dispose que d’une main-d’œuvre déplorablement diminuée et d’un outillage arriéré ou détérioré. Il faudrait que des grèves insensées ou criminelles ne vinssent point par surcroît rogner un temps de travail déjà avarement mesuré, et augmenter, au delà de toute mesure, le total des heures chômées. C’est laisser entendre ce qu’il faudrait ; mais, plutôt que de le laisser entendre, pourquoi ne pas le dire tout net ? Il nous faut un gouvernement.

L’exigence, la plus malaisée à satisfaire, du traité de paix, c’est qu’il suppose ce phénomène devenu très rare en France dans les dernières années : l’existence d’un gouvernement qui gouverne. Changer de ministres n’est pas toujours la bonne méthode pour en avoir un : M. Clemenceau doit en être, plus que personne, persuadé. Mais, à tout prix, il en faut un : il faut, à tout prix, que la volonté de vivre du pays ne se heurte pas et ne se brise pas à une sorte d’impuissance diffuse de la puissance publique ; pour vivre ou revivre dans la paix, la France est prête à supporter toutes les dictatures, hors une seule, la dictature de l’incapacité.

Charles Benoist.


Le Directeur-Gérant :
René Doumic.