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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/898

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un bol de soupe. Puis on nous fait passer par le vestiaire. Ils sont là, les « habits de la maison. » Même uniforme qu’à Werden, mais, en plus, une tunique d’étoffe. Heureusement, ces vêtements sont propres. Seul, le linge est crasseux, pire qu’à Werden, s’il se peut.

Le Hausvater fait son apparition. Type de sous-officier prussien. Haute taille. Tète carrée, coupée d’une forte moustache grisonnante. Œil froid, expression dure, démarche roide.

Devant lui nous abandonnons notre défroque de Werden. Nous endossons le nouvel uniforme. On nous assigne nos cellules définitives. Nous voilà redevenus forçats comme devant.


Mon nouveau logis n’est pas gai. Une fenêtre assez grande, commençant à un mètre et demi du sol, mais ne donnant presque pas de jour, car ma cellule est située à l’intersection de deux ailes, et j’ai, tout juste en face de moi, un grand bâtiment qui ne me laisse pas entrevoir le plus petit bout de ciel.

Mais j’entends par ma fenêtre un bruit de voix. Des conversations s’engagent. Nul doute. ce sont mes nouveaux voisins, — car on a mis dans une autre aile mes camarades de Werden, — qui ont trouvé moyen de correspondre entre eux. Je voudrais me joindre à leur colloque, mais, seule, la partie supérieure de ma fenêtre s’ouvre ; quant aux carreaux inférieurs, ils sont en verre dépoli : aussi m’est-il impossible soit de voir, soit de me faire entendre. Heureusement, du bâtiment d’en face on se rend compte de mon embarras. « C’est par en bas qu’il faut ouvrir, me crie-t-on ; le carreau du centre est mobile ; seuls, les surveillants en ont la clef, mais une clef de boite à sardines fait jouer la serrure aussi aisément que le passe-partout du garde-chiourme. » Je découvre dans un coin l’instrument en question. Quelques essais infructueux et voilà ma fenêtre large ouverte. Je me hisse sur mon escabeau et jouis du spectacle. En face de moi toutes les fenêtres sont ouvertes de la même façon que la mienne. Un buste émerge de chacune d’elles. Tout le monde est en costume de forçat, mais les têtes s’agrémentent de chevelures et de barbes. La conversation est générale et des plus animées. C’est comme cela tous les jours, me dit-on. Et tout de suite, on me met au courant. Cassel, me raconte un obligeant voisin, compte en ce moment 650