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arméniens ; un bon nombre d’entre eux ne sont d’ailleurs que des Arméniens islamisés sous la menace du cimeterre. De plus, même les Kurdes qui vivent au pied des montagnes, conduisent, durant les chaleurs de l’été, leurs troupeaux transhumants brouter l’herbe des hauts plateaux. La transhumance, avec la connivence du gendarme turc, servait de prétexte au pillage et à l’assassinat. Depuis des siècles, les Turcs ne cessaient d’exciter contre les Arméniens les convoitises et les haines kurdes, car le Kurde est pauvre ; c’est un berger ou un humble cultivateur ; au point de vue social, il en est resté au régime de la tribu ; sa langue, très indigente, ne peut exprimer que des idées rudimentaires et il lui faut recourir à l’arabe quand il veut écrire ; c’est un montagnard, resté très primitif et sans culture et qui a une réputation bien établie de brigand et de pillard ; mais il est énergique, vigoureux, et, sous un gouvernement autre que celui des Turcs, il se montrera capable de progrès.

Le Kurdistan peut former un Etat indépendant qui comprendrait presque tout le vilayet de Diarbékir, la partie sud des vilayets de Bitlis et de Van et peut-être quelques territoires entre le Tigre et la frontière persane. Mais il n’est pas admissible que le massacre des Arméniens, auquel les Kurdes ont cruellement participé, puisse devenir pour eux un titre à empiéter sur les hauts plateaux. Les Kurdes qui y sont fixés ou qui y conduisent leurs troupeaux durant l’été, seront protégés par les lois de l’Etat arménien, à la condition que la zone de passage de leurs troupeaux soit délimitée ; leurs droits seront garantis par la puissance qui assumera pour l’Arménie le mandat d’assistance. Il n’a jamais existé, au cours des siècles, d’Etat kurde ; les Kurdes ont toujours été sujets, mais sujets mal soumis à leurs maîtres successifs, obéissant plutôt à leurs beys, sortes de seigneurs féodaux ou de chefs de clan ; rien ne les empêchera de garder leur organisation sociale et leurs mœurs, à la condition de respecter les droits de leurs voisins et les lois de la civilisation. En ces derniers temps, on a pu observer les symptômes d’un rapprochement entre Kurdes et Arméniens ; longtemps, dans l’histoire, ils ont vécu en bonne intelligence ; ce sont les Turcs seuls qui avaient intérêt à les opposer les uns aux autres. Quand il sera évident que l’Arménie, assistée par la Société des Nations, possède une gendarmerie