Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laquelle chaque siècle a apposé sa griffe. Tel est celui de La Grange.

Situé en Brie, près de Courpalay et de Rozoy, La Grange, avec ses six tours, sa cour d’honneur, son entrée formée de deux tours au-dessus d’un pont-levis, ses douves profondes et ses imposantes murailles, présentait l’aspect d’une redoutable forteresse. C’était d’ailleurs l’apanage des sires de Courtenay, issus de la maison de France [1]. Dès le XVe et le XVIe siècle, des remaniements enlevèrent au château quelque chose de son austérité première. Le XVIIe siècle vint avec sa grâce majestueuse. Les d’Aubusson-La Feuillade, — très grands seigneurs, — transformèrent alors La Grange. Un pan de mur et une tour furent abattus, qui permirent au soleil couchant d’empourprer à larges flots les hautes fenêtres de la cour d’honneur. Le temps des guerres barbares était passé, croyait-on. Plus n’était besoin de forteresse féodale. Et de celle-ci l’aspect s’adoucissait, en même temps que pénétrait partout la lumière. Un parc splendide fut dessiné avec l’art impeccable d’un Le Nôtre. De beaux arbres robustes s’élancèrent d’un jet puissant vers le ciel, telles de vivantes colonnes, dans un ordre trop parfait. En sorte que La Grange, dès lors, prit un aspect double et enchanteur. Ses murailles de grès, qui émergent comme un roc d’une mer de verdure, évoquent le moyen âge ; mais chaque détail d’un ensemble habilement remanié rappelle le grand siècle et le grand seigneur qui a pu demander des conseils à Mansart.

Ainsi était le château de La Grange quand l’acquit Louis Dupré, conseiller au Parlement, dont la fille Madame d’Aguesseau fut mère de la duchesse d’Ayen. Ainsi était encore le château de La Grange quand il passa aux mains de La Fayette.

Mais celui-ci modernisa immédiatement le parc aux belles eaux dormantes dans lesquelles se mirait le manoir ancestral. La Fayette était trop « d’avant-garde » et trop anglophile pour ne pas demander au créateur des Jardins de Méréville et d’Ermenonville, à Hubert Robert, de rompre les lignes majestueuses du temps de Louis XIV.

L’artiste se mit rapidement à l’œuvre, et ce fut l’une de ses dernières. Au lendemain de la Terreur, en cette France où,

  1. Le château de La Grange appartient aujourd’hui à M. le marquis de Lasteyrie, arrière-petit-fils de La Fayette, que nous remercions ici de ses précieuses communications.