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épouse Henriette Bouthillier de Chavigny, l’une des filles de ce Chavigny que Brienne le père a su remplacer comme secrétaire d’État. Beau mariage ! La jeune Mme de Brienne était, « soit pour la personne ou pour tout le reste, » à ne pouvoir rencontrer mieux. Elle avait un seul inconvénient : une ambition qui excitera encore l’ambition du jeune mari. Plus tard, beaucoup plus tard, quand elle est morte depuis longtemps, Brienne songe à elle avec pitié, avec remords : « C’est qu’elle avait un cœur de reine, cette pauvre femme ; mais elle avait mal placé son amour. Je lui devins insupportable et elle ne gardait plus de mesure avec moi, comme si j’eusse été l’artisan de ma perte. » Les débuts de ce ménage, si ardent à vivre, furent heureux. Survivancier de son père, Brienne devait attendre patiemment le trépas de son père. Au moins devait-il attendre d’avoir ses vingt-cinq ans pour remplacer le secrétaire d’État qui serait absent ou malade. Il arriva que la santé du vieux Brienne, déjà mauvaise, empira de telle sorte qu’il ne pouvait plus accompagner la Cour en voyage ; et puis son caractère, déjà mauvais, devint exécrable de telle sorte que Mazarin ne pouvait plus le supporter. Bref, le 22 mai 1658, le jeune Brienne, qui n’avait que vingt-deux ans, eut la permission de signer comme secrétaire d’État quand son père serait obligé de garder le lit ou la chambre. Le vieux Brienne devient si impotent et maussade qu’en fait le jeune Brienne le remplace. Au mariage du roi, c’est à lui que sera donné l’honneur de lire la formule du serment que prête le roi sur les Évangiles. Mazarin s’entend avec lui beaucoup mieux qu’avec le bonhomme.

Le jeune Brienne, dans les premiers temps, fit son métier comme un autre. Il le fit assez bien, tant que Mazarin fut là pour le guider et principalement pour le contenir. Il plaisait à Mazarin plus qu’au roi : le roi n’aimait pas les vantards et les improvisateurs. En 1661, le 9 mars, Brienne est chargé de tenir le mémorial du conseil : le 1er avril, cette charge lui est enlevée ; il perd l’occasion de parler, de lire à haute voix et d’être important. Le roi ne dissimule pas que ce petit gaillard l’importune. Et, quelques mois plus tard, le petit gaillard est éloigné de la Cour, très soudainement : ordre du roi. Il se rendit en Picardie et croyait alors que sa disgrâce durerait peu. Comme il s’ennuyait, il se rapprocha de Paris, fut à Saint-Denis et, chez le président de Thou, à Vanves. Mais le roi négligeait de le rappeler. Même, le roi lui commanda de renoncer pour jamais au ministère et de vendre sa charge à M. de Lionne. Il résista et finit par céder à une exigence qui n’admettait aucune hésitation. Le 14 avril 1663, M. de