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et elle n’y a aucune part — Oh ! bien, soit ! N’en parlons plus ; je t’en ai trop dit. — Votre Majesté m’a fait trop d’honneur. » À vingt ans de là, Brienne se demande si la jalousie du roi ne fut pas la cause d’une disgrâce qui est tout le malheur de sa vie.

Or, il est vrai que le roi était fort jaloux. Mme de La Fayette le dit et le montre, dans l’Histoire de Madame Henriette. Il était jaloux comme un autre homme ; et, une fois que La Vallière perdit une turquoise qu’il lui avait donnée, il s’imagina qu’elle l’avait envoyée à Bragelonne et se désespéra. Mais, en outre, sa jalousie était d’une telle sorte qu’une femme qu’il eût aimée et qu’il sût occupée le moins du monde en quelque aventure, ou en quelque souvenir d’une aventure, il ne l’aimait plus : c’était subitement fini, de tout ce qu’il avait au cœur pour elle. Une La Vallière entichée du jeune Brienne, ou seulement aimée du jeune Brienne, il l’aurait chassée de son cœur. Et c’est le contraire, on le sait bien, qui arriva. Puis l’anecdote de La Vallière et du jeune Brienne est du mois de mai ou du mois de juin 1661, postérieure de quelques semaines au jour que la rédaction du mémorial fut retirée au secrétaire d’État, lequel ne fut éloigné de la Cour que l’année suivante. La Vallière n’est pas la cause de cette disgrâce.

La cause de cette disgrâce ? Gui Patin disait : « Voilà un jeune homme perdu, si Dieu ne le sauve, que les jeux et les pipeurs ont perdu. Il méritait une meilleure fin ; car c’était un honnête homme et très savant. » Le jeune Brienne se serait donc ruiné au jeu : il se serait laissé voler au jeu par les fripons. Mais, Chapelain, c’est une autre histoire, et moins coûteuse, et plus fâcheuse, qu’il a crue : il écrit à Nicolas Heinsius : « Une friponnerie de jeu, à laquelle on a prétendu qu’il était entré pour une part principale, a trouvé le roi facile à se le persuader et l’a porté à lui envoyer commander de se retirer de la cour. » Ainsi le jeune Brienne n’aurait pas été victime des fripons, mais fripon lui-même et victime enfin de sa friponnerie. Voilà un fait et qui suffirait à expliquer ce grand mystère que l’exilé a l’air de croire indéchiffrable : est-ce qu’il se moque de nous ?… Les Brienne n’étaient pas riches. Le vieux Brienne avait agi très honnêtement à la Cour et au ministère. Mme de Brienne, la mère, pieuse et charitable, distribuait son peu de fortune en aumônes. Et, quand Mme d’Aiguillon supplie la reine d’accorder au jeune Brienne la survivance du vieux Brienne, elle dit que les Brienne sont pauvres. Et le jeune Brienne écrit, dans ses Mémoires : « Ma plus grande peine était mon extrême pauvreté ; sans le jeu, il m’eût été impossible de