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entente des réalités, son excellent souci de l’État. Et le roi, qui voyait ce Brienne bâcler sa besogne, voyait M. de Lionne sérieux, prêt à servir exactement. Il se défit de ce fol et, pour le remplacer, prit un sage. C’est ainsi que le jeune Brienne fut sacrifié au bien de l’État.

Mais son internement à Saint-Lazare, où il passa près de vingt ans au milieu des fous ? C’est qu’un beau jour le fol était devenu fou. Il avait gagné, l’on ne sait trop comment, les états du duc de Mecklembourg. Là, il commit un certain nombre de méfaits qui démontrent qu’il était insensé, dangereux même. On redouta qu’il ne se rendît en Suède ou à Berlin. Ce qu’il savait pour avoir siégé au conseil du roi, ce qu’il dirait par délirante vanité, pouvait nuire aux intérêts du roi et du royaume. Dès qu’on l’eut sous la main, quand il revint, ce fut pitié, ce fut précaution, de l’interner.

Ce jeune Brienne est à plaindre. Il avait de l’esprit, de la grâce et quelques vertus, mais en désordre. Son histoire, absurde et pathétique, a bien de l’analogie avec l’histoire d’un autre garçon très aimable, Fouquet. Le jeune Brienne est plus jeune et d’une génération qui, pour être sage, eut à résister aux tentations les plus séduisantes. Il a ses premiers succès dans une Cour presque adolescente où le plaisir est délicieux. Un roi de vingt ans à peine passés conduit la fête et prodigue autour de lui la nouveauté d’un luxe parfait, l’amusement de l’orgueil et de la volupté, la gloire. Mais ce jeune roi, qui a la tête bien faite, sépare de ses divertissements son travail. Le petit Brienne, son étourderie ne lui permettait pas de subir sans défaillance l’épreuve d’un bonheur extraordinaire et prématuré. Il fut de ceux que la félicité du règne enivra comme un vin trop fort et que supprima, faute de les pouvoir soumettre à la raison, l’opportune rigueur du roi.


André Beaunier.