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passé en Allemagne depuis l’abdication de Guillaume II a tendu à augmenter la densité du bloc allemand. Que l’Allemagne battue se retrouve une Allemagne plus concentrée, c’est une épreuve sévère, et peut-être un grave avertissement, pour nous. Le moins que nous puissions demander est que le bloc allemand, accru en densité, n’aille pas. un jour prochain, s’accroître encore en volume. La force de natalité de la race germanique, par rapport à la nôtre, ou à notre volonté de faire naître, accuse chaque année l’écart : il serait funeste que l’appoint de l’Autriche de langue allemande vînt rendre irréparable une rupture d’équilibre qui n’est déjà que trop périlleuse.

Le Traité de Versailles, du 28 juin, dit bien, en son article 80, où il envisage les relations futures de l’Autriche avec l’Allemagne : « L’Allemagne reconnaît et respectera strictement l’indépendance de l’Autriche, dans les frontières qui seront fixées par traité passé entre cet État et les principales Puissances alliées et associées ; elle reconnaît que cette indépendance sera inaliénable, si ce n’est du consentement du Conseil de la Société des Nations. » Si sommaire qu’il soit, un pareil texte est plein de substance et comme gros d’avenir ; mais il faut et il faudra savoir l’interpréter et y recourir. Il est de notoriété éclatante que, dans la période d’affaissement qui a suivi les armistices, le dessein s’est fait jour des deux côtés, en Autriche et en Allemagne, de réunir à la Grande Allemagne l’Autriche dite allemande et que cette réunion a été annoncée, préparée, proclamée, à Vienne et à Weimar, jusque dans les projets de constitution. Si la Conférence ne s’est pas trouvée en face du fait accompli, c’est, d’une part, qu’à la dernière minute, le gouvernement de la République autrichienne a pris peur devant la menace d’être obligé de partager les charges qui allaient s’abattre sur l’Allemagne provocatrice, assaillante et vaincue ; et c’est, d’autre part, que les dirigeants du Reich, quelque bénéfice qu’ils dussent par ailleurs retirer de l’opération, quelles que fussent les compensations qu’elle leur offrît, et qu’ils appréciaient et qu’ils ne dédaignaient pas, ont été retenus par une crainte semblable.

Mais la pensée n’a point été alors, sans doute n’est-elle point maintenant encore abandonnée ; à tout risque, nous ferons sagement de nous comporter comme si elle ne l’était pas. « L’Allemagne, écrivait le comte Brockdorff-Rantzau, dans sa Note du 29 mai, demande que le droit de libre disposition soit respecté en Autriche et en Bohème pour toutes les nationalités, y compris les Allemands. » Ce langage était à peine voilé, et il n’était pas du tout ambigu. Au