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Sénat y fut respectée en même temps que l’autorité de l’empereur, si bien qu’il n’y eut jamais entre les deux pouvoirs ces chocs et ces antagonismes imaginés par les historiens qui veulent, à tout prix, faire de l’Empire des deux premiers siècles une monarchie. Ainsi que nous l’avons déjà dit, le Sénat choisissait, d’accord avec l’Empereur, celui qui devait lui succéder ; l’État était une véritable République gouvernée par le Sénat et l’empereur, le second respectueux des droits du premier, le premier respectueux de l’autorité du second, comme le plus éminent et puissant de ses membres. Aucune incertitude ne s’éleva jamais sur l’élection des empereurs et sur les conditions requises pour qu’elle fût légitime. Le grave défaut de la constitution impériale se trouva ainsi momentanément écarté ; l’autorité de Trajan, d’Hadrien, d’Antonin et de Marc-Aurèle fut reconnue par tous, sans être minée comme celle de Tibère, de Claude et de Néron, par l’opposition secrète et irréductible de la noblesse ; n’étant plus affaibli par de trop violentes discordes, au sein même du groupe tout-puissant qui avait dans ses mains le gouvernement, l’Etat romain put, au cours de ce siècle, accomplir de grandes œuvres de paix et de guerre dans l’immense Empire.


III

Mais les principes d’une civilisation et les classes qui sont chargées de les appliquer s’usent avec le temps. Aussi bien préparée et aussi forte qu’elle fût, cette aristocratie, qu’avait formée l’élite de tant de provinces, n’échappa pas au sort commun. Peu à peu elle se désagrégea, en partie, comme toutes les aristocraties, par épuisement intérieur, et en partie parce qu’elle fut petit à petit décomposée par les philosophies et par les religions d’esprit universel qui agissaient du dehors sur elle. Le romanisme était une doctrine nationale et aristocratique, exclusiviste par conséquent ; une espèce d’armature dans laquelle un peuple et un État s’enfermaient pour se séparer du reste du monde. Il était donc en contradiction avec les philosophies et avec les religions universelles, telles que le stoïcisme et le christianisme, qui confondaient tous les hommes et tous les peuples dans un principe d’égalité morale, pour