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de l’époque, n’a plus été capable, à un certain moment, de défendre ses frontières contre des peuples qui tenaient de lui les premiers rudiments de l’art de la guerre et du gouvernement. D’autres attribuent cette ruine au christianisme ; d’autres encore à la prépondérance que prirent dans l’Empire les classes inférieures et les populations plus barbares ; d’autres enfin aux impôts écrasants et à l’absolutisme du gouvernement. Mais toutes ces explications, partiellement justes, n’expliquent rien, si on ne démontre pas en même temps pourquoi le christianisme put, à un moment donné, imposer à l’Empire des doctrines et des institutions, qui devaient anéantir presque complètement sa force politique et militaire ; pour quelles raisons les races qui peuplaient l’Empire se mêlèrent en redevenant toutes barbares ; comment il se lit que l’État finit par étrangler l’Empire avec son absolutisme impitoyable et sa finance insensée. Tous ces terribles phénomènes de décomposition sociale doivent avoir une cause première qu’il faut mettre à jour.

Cette cause première est une grande crise politique : la crise politique engendrée précisément par les guerres civiles qui suivirent la mort d’Alexandre Sévère et se prolongèrent pendant un demi-siècle. En quoi consiste cette crise politique ? Dans l’anéantissement total de l’autorité du Sénat, que tant d’historiens considèrent comme un encombrement inutile dans l’organisation politique de l’Empire. Le Sénat fut annihilé par les légions barbares qui, à un certain moment, ne s’inclinèrent plus devant son autorité séculaire ; par la peur qui le paralysa devant la force déchainée des légions, quand il s’aperçut que son prestige tout moral n’existait plus ; par la destruction des familles les plus puissantes et les plus respectées ; par les éléments nouveaux, incultes et grossiers, qui vinrent remplir les rangs de la vieille aristocratie, décimée par les guerres civiles. Mais quand le Sénat fut complètement dépouillé de son autorité, il n’y eut plus dans tout l’Empire un pouvoir capable, sinon d’élire l’empereur, du moins de le légitimer : c’est-à-dire que vint à manquer tout principe de légitimité, en vertu duquel tous se reconnaissaient obligés d’obéir à l’empereur ; et avec ce principe toute trace de procédure légale pour l’élection des chefs de l’Empire. Les légions choisirent les empereurs, et leur faveur devint l’unique source de l’autorité suprême. Mais