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Elle prend de l’air, de l’espace, j’allais dire : de l’immensité, au moins sur trois points. Il y a d’abord sa place municipale, la Piazza del Campo. On y descend par des ruelles et par de sombres couloirs qui passent sous les maisons, pareils aux vomitoires des théâtres antiques. Elle se déploie devant le palais municipal comme un éventail, et se creuse comme une grande coquille de Saint-Jacques, dont la fontaine Gaia formerait la poignée. C’est de l’allégresse et de la clarté dans cette forêt de pierres ; c’est une clairière où l’on entend ruisseler de l’eau joyeuse. Le Palais municipal, qui servit de modèle aux autres palais, est en briques, tout rose avec des colonnettes de marbre blanc sous l’ogive des fenêtres gothiques. Il porte à son extrémité, au-dessus de sa loggia, la tour la plus élancée, la plus hardie, qui se soit couronnée si haut dans le ciel de créneaux et de mâchicoulis. Cette nuit-là, elle me parut d’une exquise insolence. On l’avait vue s’incliner comme un mât dans la tempête. Mais nul n’avait eu peur d’un écroulement, tant son élégance implique l’idée de l’équilibre et de la vie.

Le second point où Sienne respire l’air du large, c’est la place de la Cathédrale, de l’Hôpital et de l’Archevêché. Les ruelles qui y grimpent aboutissent à un portail et à de hautes arcades ouvertes sur le vide. Les Siennois avaient conçu au XIVe siècle et commencé une basilique qui devait être la plus vaste du monde. Mais la peste, les incursions des reîtres, leurs dissensions politiques les forcèrent d’abandonner leur entreprise. Le vieux Dôme, simplement agrandi, reçut une nouvelle façade. La nef inachevée continue de s’y adosser comme le squelette d’un rêve à la réalité. Sienne n’avait point à rougir de son rêve dont ces ruines attestent la noblesse. L’ancienne cathédrale, en marbre blanc strié de pierre noire, est assez belle, surtout quand la lumière du soir en estompe l’exubérance ornementale. Sur sa façade, les personnages d’albâtre se détachent avec une blancheur moins crue, et les fresques, médiocres au jour, luisent comme un fond de draperie très riche. Cette place, où se posent toutes les clartés d’en haut et d’où descendent des tunnels d’ombre, est presque toujours déserte, sauf à l’heure des offices. Elle l’était entièrement dans cette étrange nuit, et nous n’entendions que la sonorité de nos pas.

En face, au delà d’un ravin dont les pentes fourmillent de toits, un promontoire s’avance dans le ciel ; et sur ce promontoire