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Mais, dans cette politique territoriale, il est évident qu’il y a des points faibles. A l’Ouest, la France n’a pas, quelque compensation qu’on se soit flatté de lui en offrir, sa frontière militaire du Rhin. Au Sud, l’État tchéco-slovaque n’a pas le fameux quadrilatère de Glatz, d’où sont toujours parties les menaces et les actions de l’Allemagne ou de la Prusse contre l’Europe centrale. C’est dire qu’au milieu de la ceinture d’États dont on a voulu entourer et lier l’Allemagne, on a laissé, juste sur la boucle, une pointe qui risque de la rompre. Si les communications de la Prusse orientale avec l’Allemagne sont rendues malaisées par l’interposition de la bande de terre qui vient finir sur le rivage de la Baltique, en revanche, l’unité interne de la Pologne est comme coupée par l’interposition du territoire de Dantzig. Ce territoire lui-même est peu sûr ; il peut, du jour au lendemain, devenir une enclume entre deux marteaux. Memel aussi, à l’extrême pointe Nord-Est, n’a qu’une existence fragile.

En outre, il y a, répétons-le, dans le Traité du 28 juin, un trou énorme et comme un abîme ouvert. La Russie, absente de la guerre la dernière année, est absente aussi de la paix. Elle n’y est plus, et les États issus de sa dispersion, n’y sont pas encore. C’est une absence peut-être inévitable, mais il n’est pas possible de taire qu’elle laisse en dehors du Traité, en dehors de la paix, en dehors du régime établi, la moitié de l’Europe.

Enfin, il va y avoir l’Autriche-Hongrie, la place disputée de ce qui fut l’Autriche et de ce qui fut la Hongrie. Il va y avoir, dans ce prochain Orient européen, et dans l’Orient, un peu plus lointain, de l’Asie-Mineure, l’ouverture de la liquidation et le règlement de la succession turque. C’est jusque-là, et surtout là, que nous devons avoir une politique. C’est là et partout qu’il va falloir que nous fassions œuvre de création continue. Peut-être, alors, n’est-ce ni en Rhénanie, ni en Allemagne, que nous avons premièrement à créer, ou à continuer la création, mais chez nous et sur nous-mêmes. L’heure est grave, et le temps veut des hommes. Si la France de la paix ne sait pas être égale à l’admirable France de la guerre, ne disons pas qu’elle est perdue, mais osons dire qu’elle n’est pas sauvée.


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant

RENÉ DOUMIC