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plan offensif, il peut revenir à la défensive, comme au lendemain de la première Marne ; son âme est troublée, elle se peut calmer. Mais si, la bataille à peine close, qui a vu s’effondrer ses plans, il est attaqué en forces sur un autre point de son front, si, attaqué, il est bousculé, si, bousculé, il se voit derechef assailli à sa droite et à sa gauche, frappé à son centre, repris sur ses flancs, il sera tous les jours davantage à la merci de l’adversaire qui, impitoyablement, le manœuvrera. En cette journée du 24, l’éternelle question se pose qui déjà se trouvait soulevée, il y a deux mille ans, le soir de la bataille de Cannes : « Celui qui vient de vaincre saura-t-il profiter de la victoire ? »

Que les quatre chefs réunis dans le cabinet de Foch aient été tous, dès le début, d’accord pour poursuivre activement les opérations, c’est le secret de ce cabinet. Peut-être en était-il qui, volontiers, eussent laissé souffler les troupes éprouvées par l’assaut reçu, puis l’assaut donné. Peut-être en était-il qui estimaient prématurés de grands desseins avant que fût même consommée entre Marne et Aisne la défaite allemande.

En de pareilles circonstances, un Foch fait merveille, — et d’abord parce qu’avant la réunion, ses idées sont fixées clairement ; il les a examinées, pesées, contrôlées, discutées, mises au point ; elles empruntent à leur parfaite clarté une parfaite fermeté. Par ailleurs, il est, je l’ai dit, un de ces hommes dont il a parlé autrefois en ses Principes de Guerre. Rappelons-nous, en effet, ce qu’il a écrit en 1891 : « … Quand vient l’heure des décisions à prendre, des responsabilités à encourir, des sacrifices à consommer, — et ces décisions, il faut les prendre avant qu’elles soient imposées, ces responsabilités, il faut aller au-devant d’elles, c’est l’initiative partout qu’il faut assurer, c’est l’offensive qu’il faut déchaîner en tout point, — où trouver les ouvriers de ces entreprises toujours risquées et périlleuses, si ce n’est dans les natures supérieures, avides de responsabilités… ? » Et plus loin, il a encore écrit « … Pas de victoire possible sans le commandement vigoureux, avide de responsabilités et d’entreprises audacieuses, possédant et inspirant à tous la résolution et l’énergie d’aller jusqu’au bout… » Foch est de ces « natures supérieures avides de responsabilités. » Il consulte ses lieutenants ; il n’entend point les contraindre ; mais s’ils se sont soumis à ses directions, il ne se déchargera pas un instant sur eux de la responsabilité ; ils le savent et s’en peuvent rassurer.