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de le soigner, si nous voulons le guérir. Tout l’État ne tarderait pas à en être infecté. Ils sont venus, les temps annoncés, il y a déjà une vingtaine d’années, par un député italien, le docteur Provido Siliprandi, dont les avertissements ne furent point écoutés comme ils auraient dû l’être : jamais diagnostic plus aigu n’avait été porté sur une société politiquement malade. Il ne parlait que de l’Italie, mais déjà le mur mitoyen brûlait. A présent, au lendemain d’une effroyable guerre, qui ouvre une crise peut-être plus formidable encore, à la fois nationale et internationale, universelle, parce que tous les pays y passent et parce que toutes les questions y sont agitées, il faut proclamer haut et net que nous ne pouvons aborder, avec l’outil que nous avons, la moindre des tâches qui nous sollicitent.

Il était aisé de prévoir que les sociétés, brutalement expulsées de leur orbite par une catastrophe sans précédent, et maintenues hors de cette orbite pendant cinq interminables années, n’allaient pas se rasseoir tranquillement dans leurs anciennes formes. Mais plus d’un répétait que cette guerre serait non seulement la plus grande des guerres, mais la plus grande des révolutions, qui le redisait en quelque sorte mécaniquement, l’ayant ouï dire, et n’en était pas intimement convaincu, ou ne se rendait qu’imparfaitement compte de ce qu’il répétait. Les signes sont devenus si évidents qu’ils frapperaient même un aveugle. Il peut y avoir révolution sans qu’il y ait sang répandu. En fait, il y a « révolution, » dès qu’il y a « retournement. » Or, qui nierait que l’échelle sociale est retournée, que les valeurs sociales sont renversées ? A tout le moins, ces valeurs sont toutes brouillées, et se débattent à terre pêle-mêle, dans une curée dont le trésor public et les entreprises privées font follement les frais. La vie est tout ensemble chère et dure ; les salaires tout ensemble énormes et insuffisants. Des sommets du gouvernement, on chante l’hymne à la production, on crie à la nation d’oser. Mais fait-on tout ce qu’il faudrait pour la mettre en position d’oser et en condition de produire ? Du manque de matières premières et de main-d’œuvre à la réduction de la journée de travail et aux grèves, n’est-elle pas paralysée par trop d’entraves ? A l’intérieur et à l’extérieur, n’est-elle pas surchargée du poids de trop d’incertitudes ?

Avant que cette Chambre disparaisse, on va probablement lui soumettre le traité qui vient l’être conclu à Saint-Germain avec l’Autriche, et dont le texte avait été, le 2 septembre, consigné ne varietur entre les mains du chancelier Renner, en même temps qu’une lettre d’envoi rédigée, comme l’avait été celle adressée au comte Brockdorff-Rantzau,