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Avec une intransigeance bien féminine et une vivacité d’impressions non moins féminine, elle vit en lui une sorte de « Polichinelle ; » elle lui trouva « une expression cynique. » Tels sont les termes dont elle se servait avec nous dans la conversation pour le dépeindre. De son côté, Sainte-Beuve dut ressentir un certain désappointement. Fort probablement l’impression de la visiteuse se trahit sur son visage et amena dans son maintien une gêne ou une froideur que sa courtoisie naturelle ne réussit pas à dissimuler. De plus, sa tristesse, l’ébranlement de sa santé la rendaient moins curieuse des questions littéraires ou philosophiques.

Après cette entrevue, nouveau silence qui ne dure pas moins de six ans. Durant ces années, Mlle Couriard a cherché une diversion à sa douleur en écrivant des romans. Ces livres eurent un vif succès à l’époque où ils parurent. De nos jours ils paraissent démodés. Un ton prêcheur et certaines invraisemblances font trop oublier la réelle valeur de ces ouvrages. Mlle Couriard elle-même reconnaissait ces défauts avec beaucoup de bonne grâce.

En 1868, elle adresse une nouvelle lettre à Sainte-Beuve. Elle était choquée par le ton d’hostilité adopté par l’écrivain envers les choses du christianisme : elle voulut lui en faire reproche. Sainte-Beuve, impatienté, répondit par cette lettre, piquant mélange d’irritation et d’urbanité.

« J’ai été heureux de votre souvenir. Le mien va quelquefois vous chercher un peu au hasard. Je vois que vous êtes toujours à votre Léman. Êtes-vous à la même campagne au bord du lac ? J’ai reçu votre volume et vous en remercie. Mais laissez-moi vous dire : Pourquoi donc me prêchez-vous ? Qu’ai-je fait pour cela ? Et laissez-moi vous soumettre une singularité qui me frappe. J’ai à Boulogne-sur-Mer une cousine, une vieille cousine de beaucoup d’esprit, qui s’était mise, il y a deux ans, à rentrer avec moi en commerce de lettres, renouant ainsi avec mes souvenirs d’enfance. Et puis, tout d’un coup, un jour, elle m’a proposé de me recommander aux prières de tout un couvent, dont la supérieure, disait-elle, était une de nos parentes. En un mot, elle a fait preuve à mon égard du zèle catholique et monastique le plus intempestif et le plus déplacé. Je le lui ai dit.

« Or, comment se fait-il aujourd’hui qu’il m’arrive de Genève,