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pratique suffisante de la langue française pour bénéficier de cet avantage. Mieux vaut d’ailleurs, pour bien délimiter la discussion, donner en raccourci les récriminations qu’on entend journellement à Strasbourg et à Metz :

« Nous luttions jadis contre la domination étrangère, disent les mécontents. Notre situation a-t-elle changé ? Les fonctionnaires qu’on nous envoie ne connaissent souvent ni notre langue, ni notre législation, ni nos mœurs locales. Il eût été facile de recruter sur place la plus grande partie du personnel administratif.

« Notre Parlement local a modifié la législation française d’avant 1871, en l’adaptant à nos besoins particuliers. On porterait une grave atteinte à nos intérêts et à nos droits acquis si, sans nous consulter, on voulait nous imposer, dans toute son étendue, la législation française actuelle, à la transformation de laquelle nos représentants n’ont pas collaboré.

« Il n’y a pas de notre faute si nous ne parlons pas couramment la langue française. Même quand nous l’aurons apprise, nous ne renoncerons pas à parler notre dialecte. La nouvelle politique scolaire, qui supprime en fait l’enseignement de l’allemand, est un non-sens, dans un pays comme le nôtre. Nous avons le droit d’exiger qu’au moins pendant la période transitoire, qui sera longue, les fonctionnaires comprennent la langue de leurs administrés. Impossible de s’entendre devant les tribunaux, si l’office d’un interprète est nécessaire. Et puis, pourquoi les actes notariés ne seraient-ils pas rédigés dans la langue que parlent les clients des études ? »

Dans toutes ces revendications, c’est toujours le même esprit particulariste qui s’affirme. Je m’empresse d’ajouter qu’il a sa justification dans le fait que, pendant leurs quarante-huit années d’exil, les Alsaciens-Lorrains, qu’on ne saurait à aucun titre rendre responsables de l’abandon dont ils furent les victimes, ont été obligés d’organiser leur maison à leur guise et que, de retour au foyer familial, ils doivent fatalement s’y sentir d’abord quelque peu désorientés. On aurait tort d’ailleurs de s’exagérer la portée du différend. Celui-ci ne saurait être profond, car le cœur est gagné d’avance à la cause française. Les malentendus (et il ne s’agit pas d’autre chose) disparaîtront, dès qu’on se sera loyalement expliqué et que le gouvernement, soutenu par les Chambres, aura pris les mesures d’attente qui s’imposent.