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destin, en qui elle a pendant deux ans acclamé aveuglément son dieu et son sauveur, et qu’elle rend aujourd’hui responsable de sa ruine, se défend et apporte sa justification. Il s’adresse à l’opinion pour écarter de lui le reproche d’avoir égaré son pays et mal fait ses affaires. Il vient rendre ses comptes. Il présente son apologie.

En fait, ce gros volume n’est pas un livre de souvenirs ni un livre d’histoire, écrit pour le plaisir de revivre le passé ou d’en éclaircir les points obscurs ; c’est un long plaidoyer, — on a même dit en Allemagne que c’est un plaidoyer d’avocat, — un écrit pro domo, habile, passionné, éloquent, où l’auteur argumente encore plus qu’il ne raconte, où les faits cèdent à tout instant la place aux discussions, où la controverse domine à chaque page l’histoire, où le récit tourne en ergotages, où l’auteur exhale pêle-mêle ses regrets, ses plaintes, ses rancunes, où il accuse à son tour et dresse contre ses critiques et contre ses adversaires un violent réquisitoire.

Sans doute, nous savons assez, depuis !e temps qu’on en dispute, qu’il y a plus d’une manière d’écrire l’histoire, et que, s’il fallait retrancher du nombre des récits historiques tous ceux qui furent écrits ad probandum, ce sont quelques-uns des plus beaux dont on se priverait. Mais il résulte de cela même que ce livre, pour le lecteur étranger, perd beaucoup d’intérêt. L’auteur l’a écrit exclusivement pour l’opinion allemande. Il s’attache à montrer que ce n’est pas à lui qu’il faut s’en prendre d’avoir perdu la guerre. Il essaie d’établir que jusqu’au dernier moment, si l’Allemagne l’avait écouté, il y avait encore moyen de gagner la partie, ou de sauver tout au moins l’intérêt et l’honneur. Ce n’est pas l’armée, ce n’est pas le commandement qui ont conduit enfin le pays aux abimes. La faute en est à tout le monde, au gouvernement, au Reichstag, à la Révolution, à la faiblesse des alliés de l’Allemagne, à l’esprit déplorable de l’arrière, à qui on voudra en un mot, hormis aux militaires. Il est possible qu’en Allemagne un pareil débat excite de l’intérêt et soulève de longues polémiques : il ne saurait nous passionner. Après la » défense » de l’Etat-major, il faudra écouter celle de M. de Bethmann-Hollweg, du docteur Michaëlis, du comte von Hertling, du prince Max de Bade, des sous-secrétaires d’Etat von Payer et von Kühlmann et des fonctionnaires de l’Empire. Nous assisterons aux disputes de ces hauts personnages se