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saisir et utiliser, à l’heure propice, la puissance de symbole qu’a fini par enfermer, pour toute l’Italie, la question de Fiume. Puissance symbolique hors de proportion avec la valeur réelle de la ville, quelque importante qu’elle soit ; phénomène curieux d’hypnotisme et de suggestion, qui a fait de Fiume, à la longue, dans l’imagination et dans la conscience du peuple italien, « la plus italienne des cités italiennes. » Tout un peuple s’est persuadé que, sans Fiume, l’Italie n’est point achevée, que la lui contester, c’est l’outrager et l’opprimer ; plus on la lui refuse, plus il la désire, et sa passion s’augmente de la résistance qu’elle rencontre.

Pourtant, constatons-le pour le simple amour de la vérité, nous qui ne sommes ici que des témoins : si la revendication de Trieste, si même la revendication de l’Istrie, est une des plus essentielles et des plus anciennes de l’irrédentisme italien, ce n’est, au contraire, que depuis assez peu de temps que le nom de Fiume était revenu fréquemment dans les protestations irrédentistes. Sans doute, il n’a jamais été tout à fait oublié, et il n’a jamais été tout à fait absent de la littérature patriotique, où il réapparaissait par moments. Un auteur qui n’est pas suspect, M. Icilio Bachich, explique ces intervalles de silence par le fait que, sous la domination étrangère, Fiume était rattachée non à l’Autriche, mais à la Hongrie ; moralement, la douleur de la séparation aurait été couverte ou assoupie par la faveur qu’avait ménagée aux Magyars, dans l’opinion italienne, la sympathie de Mazzini. Quoi qu’il en soit, le moins qu’on puisse remarquer, c’est que jusqu’à une date assez récente, Fiume n’était qu’à l’arrière-plan, ou, si l’on le veut, qu’au second plan des revendications italiennes. Aujourd’hui, elle est devenue, — par quelle opération psychologique, nous venons d’essayer de le faire voir, — la ville italienne entre toutes, chargée, entre autres missions, d’un « rôle anti-germanique, » la cité « baptisée par le feu, Fiume sur le Quarnero. » On a lié en système les raisons que l’Italie a de la réclamer, et qui sont de quatre ordres : 1° d’ordre ethnique, historique et géographique ; 2° d’ordre national ; 3° d’ordre économique ; 4° d’ordre stratégique.

L’érudition, ardente au service du nationalisme, remonte loin vers les origines. Elle apprend aux diplomates qui l’ignoreraient que les premiers habitants dont était peuplé le versant occidental des Alpes juliennes, les pentes du Carso et les côtes du Quarnero, à l’époque pré-romaine, appartenaient au même type ethnique. Bien que divisés en plusieurs tribus, et portant des noms différents, c’était une seule et même population. Tous ces territoires furent également