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dépasse toutes les bornes. Sous quel bandeau épais Guillaume II, si maladroit et si peu psychologue à l’égard de ses ennemis, n’a-t-il pas su obscurcir la clairvoyance de ses sujets les plus honnêtes ! Celui-ci a ajouté foi, comme à l’évangile, aux méfaits des francs tireurs belges soumis aux lois de la guerre ; il n’a jamais douté que la Belgique, parjure à son engagement de neutralité, n’eût conclu des traités secrets avec la Grande-Bretagne et la France. Je proteste, je rétablis la vérité ; je flétris les crimes de l’occupation allemande, et il me regarde avec des yeux où l’étonnement le dispute à l’incrédulité. Sa stupéfaction est à son comble, quand, au cours de l’entretien, je lui apprends que le Tsar a été assassiné avec toute sa famille et que le Kaiser aurait pu, d’un mot inséré au traité de Brest-Litovsk, sauver la vie de son bon frère et cousin. Le Tsar assassiné ! Mais on n’en sait rien à Berlin.

Passons à la situation intérieure. Pour ce financier, l’accalmie présente est pleine de dangers et d’orages. Toujours la crainte affectée ou réelle du spartakisme qu’il me dépeint comme un épouvantail. Le spartakisme se réorganise dans l’ombre, prêt à rentrer en scène à l’occasion des souffrances que subira la population pendant l’hiver. Manque de combustible, disette de produits alimentaires, voilà les seules préoccupations qui doivent hanter à l’heure actuelle tous les esprits sensés, parce qu’ils y voient les causes de désordres sociaux inévitables. Ce refrain, — je le reconnais, — est sur toutes les lèvres, même sur celles des étrangers.

Quant au gouvernement d’Ebert, que nous soupçonnons de préparer déjà la revanche, mon Allemand lui dénie de pareilles arrière-pensées. Le gouvernement veut sincèrement la paix ; il n’est pas si fou que de songer à autre chose. Noske ne refait une armée que pour mater la révolution, si elle essaye de relever la tête. — Mais le retour de la monarchie, fais-je observer, qu’on prévoit et qu’on annonce comme une certitude ? — Il est impossible pour le moment et il n’est pas à souhaiter ; (c’est un conservateur qui parle.) Le gouvernement du Reich ne s’oriente pas en réalité vers la droite et vers la réaction. Les socialistes majoritaires ne sont nullement disposés à abdiquer le pouvoir. Abandonnés par les socialistes indépendants, ils sont obligés pour se renforcer d’appeler à eux les éléments radicaux du parti libéral. Avec l’adjonction