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responsabilité de la guerre qui a mis fin à son bonheur et le poids du désastre national. Vous savez bien que pour cet esprit obtus et simpliste, endoctriné comme il l’était par ses maitres, les vrais coupables sont les Français, les Anglais et le Tsar russe, ces ennemis jaloux de la race germanique.

Cependant, de l’avis général, le retour de Guillaume II parait indésirable. On craint qu’il n’ait rien oublié ni rien appris, à l’instar des autres fugitifs de l’histoire. Fugitif volontaire, pourquoi n’est-il pas retourné bravement à Berlin pour y partager les malheurs de son peuple ? C’est le seul reproche qu’on murmure à son adresse. Le Kronprinz s’est aliéné le sentiment populaire en menant trop joyeuse vie à l’arrière, pendant que ses soldats jeûnaient et mouraient sur le front. Mais d’autres combinaisons ont été certainement discutées dans les conciliabules des royalistes prussiens, et j’ai ouï dire à Berlin qu’ils tenaient un candidat tout prêt pour le trône, sans doute le fils ainé du Kronprinz avec un des leurs comme régent. Une considération puissante qui doit les faire hésiter et patienter est la perspective de la crise économique, à laquelle l’Allemagne semble vouée dès l’entrée de l’hiver. Il est de leur intérêt de laisser le gouvernement d’Ebert lutter contre le manque de combustible et de subsistances et encourir les malédictions que son impuissance lui attirerait. La monarchie apparaîtrait plus tard, comme l’ange sauveur qui ramènerait le bien-être, en attendant la prospérité et, un jour ou l’autre, les réparations de la revanche.

A bâtir ainsi des conjectures, on ne saurait passer sous silence la menace pendante de nouveaux soulèvements anarchiques, ainsi que les conséquences que leur répression entraînerait, soit une restauration hâtive de la monarchie qui se trouverait alors aux prises avec les mêmes difficultés que le gouvernement républicain, soit une dictature militaire, pour laquelle Noske parait jusqu’à présent l’homme le plus désigné. Ceci expliquerait les avances que lui font certains journaux conservateurs. Il va de soi que les Alliés ne pourraient voir que de bon œil le maintien du gouvernement républicain, puisqu’il a signé et fait voler le traité de paix et qu’il a l’obligation officielle de l’observer loyalement.