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y avait dans l’acceptation de cette destinée, en dehors de laquelle on n’en concevait pas d’autre, une offrande préalable de soi, et comme un don plus achevé, puisqu’il ne laissait pas de place à d’autres hypothèses. Ces mœurs, même si elles devaient disparaître, laisseraient derrière elles, en s’en allant, un pur parfum. Elles faisaient d’ailleurs une victime, et c’était la vieille fille, utilité ou inutilité vivant a côté et souvent à la charge de frères ou de sœurs ayant rempli une destinée qui n’avait pas voulu d’elle.

La jeune fille d’aujourd’hui veut être prémunie contre cette hypothèse, et aussi contre celle du veuvage, sans parler d’une ruine dans laquelle son mari pourrait l’entraîner. Elle a moins confiance ; elle veut moins dépendre. Cette confiance pouvait avoir sa douceur, et même cette dépendance ; elles créaient des obligations à celui à qui on s’en remettait de tout, et dont on se refusait à prévoir l’infidélité, l’incapacité et même la mort. Il n’y en a pas moins une vraie noblesse morale, disons un progrès, quoique la rançon nous en apparaisse, à vouloir sortir de ce rôle de « chose. » Ce mot cruel est de Stuart Mill, l’auteur de l’Assujettissement des femmes. « Femme, ose être, » disait M. Pécaut. La jeune fille d’aujourd’hui obéit à ce mot d’ordre. Elle éprouve un sentiment d’agacement à s’entendre ressasser son rôle futur d’épouse et de mère, quand elle n’est sûre d’être ni l’une ni l’autre. Elle veut être par elle-même, et trouve que le don qu’elle fera d’elle ensuite n’en aura que plus de prix. Elle conquerra donc par le travail l’indépendance économique, mère des autres indépendances. Elle saura vivre sans mari, s’il le faut, ou compléter le gain insuffisant du mari, si la vie s’obstine à être trop chère. Veuve, elle ne verra pas l’inquiétude du lendemain pour elle et ses enfants s’ajouter à son chagrin et en altérer la pureté. Même si elle avait cessé, d’exercer son métier, elle le retrouvera, comme une assurance prise et comme une consolation.

Cela se disait et s’écrivait avant la guerre. Mais nous avons vu quelle impulsion la guerre a donnée à ce mouvement d’idées. Le travail féminin est devenu une nécessité urgente pour beaucoup de jeunes filles appartenant à des familles qui se croyaient peut-être aisées, mais dont les conditions nouvelles de la vie ont détruit les illusions, pour d’autres encore que l’hécatombe des fiancés possibles voue à un célibat probable.