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palais d’Elseneur est une chambre des plus étroites, sous les combles d’une maison parisienne, auprès du square Montholon, dans un paysage où « des arbres attendrissants s’obstinent à vivre parmi les autobus et les courtiers en pierres fines de la rue La Fayette. » Il ressemble aussi à ce Fantasio de Musset qui voudrait être « ce monsieur qui passe, » être en Chine, être ailleurs, et n’être pas lui-même et ne plus entendre les gens échanger des idées pareilles, différentes de leurs idées qu’ils arrivent à ne plus connaître, et qui, sentant son cœur « plein de sève et de jeunesse, » danse et glorifie sa déraison. Spark son ami le prend pour un fol ; Gabriel n’épargne point à son amie cette incertitude. Mais Fantasio et Spark sont de jeunes hommes qui n’ont pas de « profession, » qui n’ont pas besoin d’en avoir une : la fantaisie leur est facile. Gabriel se débat, devrait se débattre, avec toutes les difficultés de l’existence, étant pauvre, étant chargé de famille, en quelque sorte, et prompt à multiplier ses devoirs comme il serait porté à les omettre, s’il n’était bon comme il est distrait.

Le démêlé de Gabriel et de la vie, dans le roman de M. Duvernois, a une grâce jolie et pathétique. Ce roman de la fantaisie se déroule dans la réalité bien observée et si justement peinte qu’on l’a vue et qu’on la revoit. C’est le contact, non le contraste, mais l’intime réunion de cette fantaisie un peu délirante et de la réalité si vraie, qui a tant de poésie étrange et alarmante. Aux alentours de Gabriel et de sa petite Marie, une Mimi Pinson qui saura se tirer d’affaire, il y a le train de l’humanité ordinaire : il y a des négociants qui ne sont pas si malins, des prôneurs de sagesse et des positivistes résolus qui ont leur toquade ou leur absurdité ; il y a une cousine Thérèse adorable et qui prouve qu’on aurait tort de sacrifier à la poésie la raison, car elle a toute poésie avec sa raison fine et brave ; il y a une maman que Gabriel renonce à définir autrement, un jour que tous ses parents lui sont un sujet de sourire, ne fût-ce qu’avec amitié. Elle est « maman, » n’est que cela, et l’est d’une manière délicieuse. Elle écrit à son fils un peu comme au Paysan perverti, sa mère intelligente et douce, dans le roman de Restif. Elle lui écrit : « Pénètre-toi de cette vérité : aimer quelqu’un, c’est ne réclamer de lui que sa présence et n’en attendre que lui-même, sans plus. Ménage-toi. Tu as des devoirs : tu remplaces auprès de toi ta mère absente. Je te supplie d’être égoïste. » Il l’entend bien. Quoiqu’elle soit raisonnable autant qu’il ne l’est pas, il tient d’elle ; et il a reçu d’elle tout le meilleur de sa pensée, la tendresse et l’humble vertu de bonhomie, l’art de dire et en le croyant : « La vérité est dans l’indulgence. Le