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Il y a trois couches très différentes dans l’organisation du pouvoir bolchéviste. Les deux premières sont représentées par les éléments qui ont pris part au coup d’Etat, la dernière est d’origine plus récente. Il s’agit, en premier lieu, du centre bolchéviste, des gouvernants dans le sens propre du mot. C’est toujours le petit groupe des hommes-liges de Lénine, social-démocrates bolchévistes d’avant la révolution de 1917. Il n’a presque pas changé de composition et détient le pouvoir effectif, sans en partager les responsabilités avec les couches plus récentes du bolchévisme. Lénine, omnipotent, en est le centre. Son autorité est restée prépondérante après le coup d’État, et personne ne peut prétendre à le remplacer dans la direction des affaires. Tout ce que l’on raconte sur les querelles intestines qui existeraient dans les milieux bolchévistes, parait être faux ou grandement exagéré. Comme tout chef de parti, Lénine est obligé de tenir compte des différents courants qui s’y développent et de faire certaines concessions aux deux ailes du parti ; mais il est le seul chef.

Autour de lui, une suite de partisans éprouvés, partout et toujours les mêmes, les seuls qui aient sa pleine confiance et auxquels reviennent les grandes charges de l’administration. C’est un groupe très mêlé comme nationalité et aptitudes. Trotzky, contrairement à ce qui est admis à l’étranger, n’y joue qu’un rôle de second plan. Il n’a jamais été complètement un homme de Lénine comme les autres. Dans l’émigration, il jouait plutôt un rôle d’opposition, se plaçant entre les bolcheviks et les menchéviks. C’est un ambitieux et un arriviste vulgaire. Il est devenu bolchevik par pur hasard ; ce sont les autorités anglaises de Halifax qui en portent la responsabilité. Trotzky était en Amérique, quand la révolution russe éclata. Ayant pris le chemin de la Russie, il fut arrêté dans ce port comme défaitiste dangereux. Le retard qui s’en suivit fit qu’il rentra en Russie quand le groupe social-démocrate menchéviste était déjà organisé. Trotzky, qui prétendait à la situation d’un chef, s’estima offensé et prit rang à l’extrême gauche à côté de Lénine. Son rôle pendant les pourparlers de Brest, opposé à la ligne de conduite que préconisait Lénine, le compromit : il voulait en imposer aux Allemands par ses effets d’orateur de réunion publique et amena la catastrophe que Lénine voulait éviter à tout prix. Il s’ensuivit que les affaires étrangères lui