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par d’autres préoccupations, crut manœuvrer quand il se dispersait, ne sut que donner des coups successifs au lieu de les faire simultanés, — ainsi qu’un Foch le pratiquera, — puis ayant réussi en une direction nouvelle, se laissa emporter hors de ses voies.

Il se laissa probablement entraîner par le désir de plaire au Kronprinz de Prusse qu’il tenait pour son futur maître. Il semble que celui-ci ait voulu ravir au Kronprinz de Bavière, commandant le groupe des armées du Nord, la gloire de terminer la campagne. Chose assez singulière, au moment même où, pour regagner une des supériorités qu’avait sur nous l’Allemagne, nous établissions le commandement unique, en fait, sinon en principe, les Allemands laissaient se briser chez eux cette unité du commandement. Deux jeunes chefs de sang princier paraissent s’être disputé l’honneur de la victoire, ce qui était vendre la peau de l’ours. Et entre ces deux princes, sans valeur militaire réelle, Ludendorff ne sut point prendre parti ou plutôt, après avoir lancé l’un, se rejeta sur l’autre, — peut-être par respect pour le fils du souverain.

L’opération sur Paris était une aventure. Il eût fallu, même après le 27 mai, deux grandes batailles pour arriver à investir Paris. Et, le temps marchant, l’armée alliée, sans cesse grossie par l’afflux américain et fortifiée par une fabrication intense de matériel, regagnait l’avantage. A tenter de franchir la Marne, on recommençait l’aventure de 1914. Ludendorff mit son armée dans la nasse et on sait ce qui suivit.

Lorsque d’assaillant il devint l’assailli, il ne parait pas avoir su trouver la parade à opposer à Foch comme Foch avait trouvé la parade à lui opposer. Sa retraite ne fut pas sans mérite : chaque fois qu’il fut menacé d’encerclement, il sut dérober ses gros par de cruels sacrifices. Ses soldats l’aidèrent de toutes les forces de leur corps et de leur âme. Il n’est ni juste ni heureux de refuser à celui qu’on a vaincu des vertus qu’on admire chez les siens : le soldat allemand, si démoralisé qu’il apparaisse dans les lettres saisies, fut remarquable de discipline, de courage opiniâtre, d’esprit de sacrifice. Il y eut dans ses rangs peu de défaillances collectives ; il se battit jusqu’à la dernière heure avec un grand courage ; jusqu’à la veille de l’armistice, la lutte fut très dure. C’est grande gloire d’avoir, en dépit de ces qualités, brisé une résistance tenace servie par