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ressembler à une phalange de houris venue s’offrir en holocauste à quelque marabout couché là sous les cyprès, dans cette fin du jour…

— Est-ce que Sid Omar rentrera bientôt avec sa permission ?

— Bientôt… si Dieu a écrit qu’il nous revienne cette fois encore, la vie sauve…

— Amen ! Amen ! Que Dieu n’exclue aucun Musulman de cette joie du retour !

— Et toi, tu retournes avec moi au Bain, cette semaine, puisque ton Sidi est rentré ?

— Non, ma fille, je n’y retournerai qu’après le Ramadan : trop de chaleur et de jeûne m’indisposent.

— Et Lalla Yamina, comment va-t-elle de son deuil cuisant ? Dieu lui a-t-il versé un peu d’huile sur sa plaie ?

— Elle va comme le veut sa chance… Une jeune femme, penses-tu ! Elle peut dire qu’elle a perdu sa première bénédiction !

Le soleil a disparu. Brusquement, c’est l’ombre, une ombre toute violette dans laquelle s’estompe le paysage de collines et de sapins, les gandourahs blanches et les sarmates aux mille couleurs. D’en bas, d’au milieu de la vallée, une voix forte retentit. Le muezzin appelle à la prière suprême. C’est l’heure de l’Acha.

Aussitôt, toutes ces femmes se redressent. Elles se sont oubliées à leurs caquetages. Les hommes vont rentrer au logis. Chacune saisit sa cruche emplie à moitié, la passe à l’épaule, et, comme un essaim de gazelles effarouchées, les voilà qui se dispersent, qui s’enfuient avec de petits cris d’adieux par les sentiers dévalant vers leurs demeures mystérieuses…

Une seule restait immobile. Elle regardait les autres dispararaitre, sa cruche vide à la main. Elle avait laissé passer son tour sans aucune hàle. C’était Aicha, la Fille du Condamné. Une jeune Bédouine, d’environ quinze ans. Belle, mais d’un charme plus âpre. Un visage osseux, aux traits forts, tout brûlé du hâle des campagnes. Une taille nerveuse, *bien prise sous la longue gandourah des pauvres. Point de sarma. D’abondants cheveux noirs, que le vent soulevait à sa guise, étaient retenus par un simple bandeau de tulle autour du front, un front dur et volontaire. Sa mise négligée, la nudité de sa tête indiquaient aisément qu’elle appartenait au rang des meskinate.