Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/437

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Ils prirent place tous les deux. Didenn, de plus en plus étonné de ce ton grave que prenait ce soir Zoulikha pour s’adresser à lui, répéta :

— Mais qu’as-tu, femme ? Quelle nouvelle veux-tu m’apprendre ?

Et comme Zoulikha réfléchissait avant de l’entretenir de cette chose à la fois si simple et si pénible, l’adolescent vint blottir son visage parmi les franges du foulard qui enveloppait les beaux cheveux dorés de sa femme.

L’heure était exquise. Une brise fraîche circulait au milieu des mosaïques, qu’on sentait venir de Là-bas, de la mer proche, derrière l’horizon des collines. Dans le jardin invisible, on entendait un clapotis s’agiter parmi les branchages des cocotiers et des strelitzias. L’arôme des jasmins, des mimosas, des roses du Bengale montait en une symphonie de rêve, rendue plus subtile par le beau soir d’automne.

— Mon mari, dit enfin Zoulikha, tu sais que de coutume il ne faut ni jurer, ni faire jurer… Si l’on a eu ce malheur, tôt ou tard, le serment que l’on n’a point tenu se représente à vos yeux, qu’ils soient prêts à s’éteindre sur un lit de mort ou prêts à s’ouvrir sur un lit de noces…

Didenn, à ces paroles, avait secoué la tête. Il regardait sa femme, épiant sur ses lèvres à quoi elle voulait bien en venir.

Alors, Zoulikha le contempla dans les yeux, jusqu’à l’âme :

— Eh bien ! tu ne te souviens pas, toi, sur la longueur de ta vie, d’avoir fait un serment que tu n’as pas tenu ?

Cette fois, Didenn se troubla, devint pourpre et baissa les yeux. À quoi Zoulikha faisait-elle allusion ? De quel serment voulait-elle parler ?… Il y avait bien le serment qu’il avait fait naguère… à la petite Aïcha… Mais tout s’était effacé dans la bénédiction du mariage…

Zoulikha reprit d’une voix tendre :

— Mon mari… mon bey… Allah sait combien tu m’es cher…

— Oui, se hâta de murmurer Didenn, et de cela, mon âme est dans la joie parfaite…

— Eh bien ! sur notre colline, près de chez nous, il y a une jeune vie qui souffre, précisément de notre bonheur, de notre union… Et moi-même, tant que notre bonheur coûtera des larmes, je ne pourrai plus le goûter à loisir…

Didenn avait blêmi. Il répéta machinalement :