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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/469

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solennel, marteau d’ivoire en main, une cuisine qui s’efforçait d’être française, mariée à des vins délicieusement et authentiquement français, et mille autres prévenances tâchaient à complaire aux hôtes d’un jour.

Je passe, — car il faut se borner, — sur la visite faite à bord d’un rapide destroyer dans la vaste rade de Harwich où dorment, à la chaîne, comme des chiens muselés parmi les croiseurs britanniques, les grands sous-marins allemands et leurs grands navires ateliers (releveurs, docks d’épreuve, etc.). Je passe aussi sur une charmante excursion à Manchester, la première cité industrielle du monde, à des usines où des milliers d’ouvrières tissent les précieuses cotonnades. A Manchester, ce sont les grands bourgeois de la cité, industriels et commerçants, qui nous ont reçus. Avec une fierté pleine de je ne sais quelle naïve noblesse, ils m’ont fait admirer ses usines bruissantes, ses manufactures innombrables, qui alimentent à elles seules un tiers des exportations de la Grande Bretagne. Cette métropole industrielle a eu l’orgueilleuse ambition d’être aussi une reine du commerce : grâce à son « ship canal » de 58 kilomètres de long, qui joint la mer au cœur même de l’Angleterre, et où les plus grands vaisseaux peuvent naviguer, ce rêve est maintenant réalisé, et Manchester est devenu un des plus grands ports de ce pays aux grands ports.

Ce que j’ai aimé surtout dans la cité du travail et de l’argent, ce fut la série des fresques géniales de Madox Brown qui ornent le « Town Hall, » l’Hôtel de Ville. Ces fresques d’un si étrange et si poétique romantisme mettent au cœur de cette métropole du négoce une note d’art idéal qui a charmé et détendu mes nerfs abasourdis par toutes ces machines à fabriquer de la richesse.

Et puis, et puis surtout... comment mon cœur n’en aurait-il pas battu... j’ai regardé les deux statues qui encadrent à droite et à gauche la porte monumentale du Town Hall : l’une est celle de Joule le physicien, l’autre celle de Dalton, le chimiste. Hommage modeste, touchant et clairvoyant de l’argent et de la puissance matérielle à la science désintéressée. L’Angleterre honore ses savants...

C’est à cet instant, à cet instant seulement, que j’ai bien compris, messieurs les Anglais, pourquoi votre nation est vraiment une grande et belle élite humaine.

Votre richesse est immense, et elle était sans seconde avant que les États-Unis ne connussent leur prospérité actuelle ; vos colonies sont les plus opulentes, les plus nombreuses de la terre ; vous tenez