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Commune pourvoirait, « sans délai et sous sa responsabilité, à leur logement… »


À peine fixé sur le lieu où allait être reléguée l’épave de la monarchie, Turgy courut chez M. Ménard de Choussy, commissaire général de la maison du Roi, afin d’être admis dans la domesticité en sa qualité de garçon servant. Il reçut des paroles flatteuses et la promesse d’une carte d’entrée au Temple pour le lendemain 14 ; or, Turgy se méfiait, ou que la place fût prise, s’il ne se hâtait, ou que quelque difficulté surgît, s’il temporisait. Rencontrant deux de ses collègues, Chrétien et Marchand, garçons servants comme lui, il les emmena jusqu’au Temple déjà entouré d’un cordon de gardes nationaux, força les consignes, franchit la porte en compagnie de ses deux camarades qui le tenaient par le bras, et se fit aussitôt conduire « à la Bouche » qui occupait un vaste emplacement dans l’aile gauche du palais. Il était environ six heures de l’après-midi.

Le Temple était, en effet, un palais : il comportait une vaste et noble demeure, logis habituel du grand prieur, qu’avaient occupé le galant prince de Conti et plus récemment le Comte d’Artois, frère de Louis XVI. La disposition était à peu près similaire à celle de l’hôtel Soubise, actuellement affecté aux Archives nationales : une longue cour, entourée d’arcades, se terminant on hémicycle du côté du portail et fermée à l’autre extrémité par la principale façade de l’immeuble : sauf devant cette façade, un alignement de tilleuls taillés dissimulait de sa muraille de verdure les bâtiments bas situés au pourtour de la cour. Les appartements du Grand Prieur étaient vastes et riches : ils prenaient vue sur la cour, et, par l’autre façade, sur un profond jardin planté de grands arbres alignés à la française ; au fond du jardin se dressait, à demi enclavé dans des constructions parasites, l’énorme et robuste donjon carré des Templiers, haut de plus de cent cinquante pieds, coiffé de créneaux se détachant sur un toit d’ardoise et flanqué de tours rondes à chacun de ses angles ; sinistre et noire bâtisse pour laquelle la reine Marie-Antoinette avait souvent manifesté si grande aversion « qu’elle avait prié mille fois le Comte d’Artois de la faire abattre. » En s’acharnant à obtenir le Temple pour y détenir ses otages royaux, la Commune insurrectionnelle avait en vue cette tour formidable,