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Dans la première voiture prirent place le Roi, la Reine, le Dauphin, sa sœur, Mme Elisabeth, la princesse de Lamballe, la marquise de Tourzel, sa fille Pauline, Petion, Manuel, procureur de la Commune, et le municipal Colonge ; dans le second carrosse montèrent les quatre femmes et les deux valets de chambre ainsi que deux autres municipaux désignés par le Conseil général de la Commune pour accompagner les prisonniers : l’un était Étienne Michel, fabricant de rouge, et l’autre un cordonnier en chambre nommé Antoine Simon.

Le parcours avait été long : il s’était effectué au petit pas des chevaux, non sans de nombreux arrêts et, vers sept heures et demie seulement, on entendit du Temple grandir dans la rue les cris et les huées annonçant l’approche du cortège. La cour d’honneur s’était, vers la fin de la journée, remplie de membres de la Commune, de soldats, voire de curieux sans titre, mais favorisés. Le commandant de la garde nationale parut le premier, à cheval : certains remarquèrent qu’il adressa aux municipaux groupés sur le perron un signe interrogateur. — La Tour est-elle prête ? Les municipaux répondirent par un autre signe. — Non, pas encore. Et comme les carrosses sont arrêtés au milieu de la cour, ordre est donné d’ouvrir les portières. Des canonniers se bousculent ; ils veulent séparer le Roi de sa famille et le conduire tout de suite au donjon ; Petion s’interpose, grand tumulte, et, parmi la foule des municipaux qui tous ont le chapeau en tête et portent le ruban tricolore en sautoir et la cocarde emblème de leur nouvelle dignité, les prisonniers descendent des voitures et sont conduits dans les salons du Palais. La Reine espérait trouver là quelque solitude ; son attente est déçue : l’antichambre, la salle des gardes, le salon du billard, qu’il faut traverser pour parvenir au grand salon central, vaste pièce à dix fenêtres, sont remplis de municipaux, artisans ou boutiquiers pour la plupart, qui ne se sont jamais vus en si somptueux logis. Ils sont là chez eux, gonflés de leur importance, et leur savoir-vivre n’est pas à la hauteur de l’assurance dont ils tiennent à honneur de faire preuve. Soit qu’ils n’aient pas cru devoir quitter leurs habits de tous les jours, soit qu’ils se fussent endimanchés de leur mieux, ils n’en sont pas moins si différents des hommes en compagnie desquels la Reine et ses femmes sont accoutumées à vivre, que celles-ci les jugent « revêtus des costumes les plus sales et les plus