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éducateurs dont Ferdinand pouvait être tout à fait sûr ; on y aiguisait chez eux le sentiment national, mais on les habituait en même temps à considérer la bienveillance du souverain et chef suprême de l’armée comme la source unique de tout bien-être et de tout avancement. L’œil vigilant du Maître continue à suivre les jeunes gens à leur sortie de l’Ecole. Afin d’isoler les militaires dans leurs garnisons du milieu civil, des mess d’officiers confortables furent construits et installés partout, aux frais personnels du Prince. L’officier y trouvait bonne chère et bon vin à des prix excessivement modiques ; il y passait le temps libre du service et y apprenait surtout à être très circonspect et très discret. Il savait qu’il y a des oreilles pour rapporter aux chefs, et même en haut lieu, les propos tenus entre camarades et que des officiers supérieurs et méritants furent souvent arrêtés au beau milieu d’une brillante carrière, tandis que d’autres recevaient de l’avancement, qui n’avaient pour eux que l’art de servir l’oreille du maître. Ferdinand, qui connaît son histoire à fond, savait que, pour former des janissaires, les sultans prenaient de jeunes Bulgares, les convertissaient à l’islamisme et les faisaient élever dans des écoles spéciales. Il voulut avoir ses janissaires à lui ; il y réussit jusqu’à un certain point.


A l’époque où je connus Ferdinand et sa cour, la princesse Marie-Louise était depuis des années décédée, emportant dans sa tombe les regrets sincères de son entourage et toute la vie de famille du palais de Sofia. La princesse Clémentine avait suivi sa bru dans la tombe, laissant un vide énorme dans la vie de son fils ; ce dernier s’était remarié, mais sa seconde femme ne jouait absolument aucun rôle ni dans sa vie ni dans celle de ses sujets. Le Roi s’isolait dans une solitude voulue toujours absorbé par ses plans, ses rêves de grandeur, ses cuisantes préoccupations, ses savantes combinaisons politiques...

Ferdinand, s’il eût vécu au beau milieu du quattrocento podestat de Ferrare ou de Mantoue, eût louvoyé entre le Pape, le roi de France, l’empereur des Romains et la Sérénissime ; il eût pillé les orphelinats et construit de splendides édifices ; il eût fait poignarder ses ennemis la nuit dans les rues ou les eût