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donnâmes à cette époque à la politique roumaine, furent pour beaucoup dans la décision que prirent les Roumains en 1916, lorsqu’ils finirent par se mettre du côté de l’Entente contre les Empires du Centre. Malheureusement, il n’en résulta rien de bon, — pour la Russie du moins !

Le lendemain, pendant tout le trajet pittoresque entre Vienne et Munich, le soleil fut si beau et si chaud que j’oubliai et mon vol de corbeaux et les idées noires qui ne me quittaient pas dans les derniers temps de mon séjour à Sofia.

Deux ou trois jours après mon arrivée à Paris, je me présentai à M. Sazonoff qui m’accueillit, comme toujours, avec beaucoup d’amabilité. Le ministre semblait fatigué, mais content et, en somme, optimiste. Cet optimisme se communiquait à son entourage et de là, réagissait, comme de juste, sur lui-même, augmentant sa confiance dans la situation politique.

Jamais encore Paris n’avait produit sur moi, comme cette fois, l’impression d’une ville de luxe et d’insouciance. C’était l’époque de l’apparition du fameux tango, des « bals persans, » etc.. On vit surgir des « soupers tango » chez Ciro et des « thés tango » un peu partout, où le jour, le soir et la nuit, se balançaient gracieusement ou se trémoussaient comiquement dans de nouvelles danses américaines des professionnels, des amateurs, des cocottes, des dames du monde, voire des grandes-duchesses. Le grand monde élégant de Pétersbourg était largement représenté. Tout ce public remplissait les petits théâtres, les restaurants chics et les nouveaux ateliers de mode, où des modèles « modern-style » montraient, avec des gestes tout nouveaux, des toilettes entièrement inédites, simplifiées, écourtées, mais encore plus coûteuses que les anciennes traînes et volants ; et le peintre russe Bakst donnait à ces toilettes la dernière touche en peignant dessus des fleurs et des arabesques stylisées et qui venaient s’achever sur la gorge et le dos de la charmante « patiente. » C’était comme si quelqu’un poussait tout ce monde en lui soufflant à l’oreille : « Hâtez-vous, hâtez-vous de jouir, ce sont les tout derniers mois de votre existence insouciante, brillante et luxueuse ! »

Retenu à Paris par des affaires privées, j’y restai plus de six semaines. Quelque temps après le départ de M. Sazonoff (qui sur son chemin de retour s’arrêta à Berlin), je vis arriver à Paris