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et probablement à la suite de violentes scènes d’alcôve l’Empereur fit appeler Doumbadze et lui demanda en vertu de quoi il s’était cru autorisé à expulser de Yalta « l’excellent vieillard Grégoire ? » Doumbadze répondit avec beaucoup de calme et de franchise qu’il considérait ce vieillard comme un personnage louche et dangereux et qu’il l’avait expulsé conformément à la loi et au devoir que lui imposaient ses fonctions. « Mais pourtant, comment avez-vous pu le faire, sachant à quel point l’Impératrice et moi nous aimons et estimons Grégoire ? Je vous prie, général, — si c’est possible, — d’autoriser ce pauvre homme à venir rejoindre sa famille à Yalta. — Sire, répondit alors Doumbadze, pour mettre fin à cette pénible explication, Votre Majesté sait bien que je verserai la dernière goutte de mon sang pour Elle et pour son auguste famille ; mais mon honneur d’officier, je compte le sauvegarder jusqu’au bout, envers et contre tous. Votre Majesté peut d’ailleurs, à chaque instant, me relever du poste qu’Elle a bien voulu me confier. » L’Empereur se tut, passa a un autre sujet et congédia le général avec sa bienveillance ordinaire. Doumbadze resta préfet militaire de Yalta et, bien entendu, ne songea même pas à y faire revenir Raspoutine. D’autre part, on ne parla plus de la candidature du général au poste de cour éminent qui lui avait été destiné et les personnes de la suite de l’Empereur, qui quelques jours auparavant, parlaient de Doumbadze avec sympathie et respect, se moquaient maintenant, à qui mieux mieux, des méthodes d’administration orientales du préfet de Yalta, de son amour pour les beaux discours et de ses autres petites faiblesses.

L’Impératrice ne put se remettre du coup porté à ses plus chers sentiments ; elle cessa de recevoir et de se montrer en public ; on la voyait seulement passer quelquefois en automobile fermée, en compagnie de ses filles, avec un visage empreint de rigidité et de tristesse.

Malgré toutes ces tribulations, je m’adressai, quelques jours après mon arrivée à Yalta, au ministre de la Cour comte Frédéricsz avec la prière de m’obtenir une audience de Sa Majesté l’Empereur et je reçus bientôt l’ordre de me trouver le 2-15 décembre à midi au Palais de Livadia[1].

  1. Pendant le séjour de Leurs Majestés à Livadia, les personnages d’un certain rang qui se présentaient à l’Empereur étaient, après la réception, admis au déjeuner de famille.