Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bulgarie, les généreux projets de Votre Majesté... — Mais non, vous avez fait ce que vous avez pu ; ils sont eux-mêmes fautifs ! — Oui, Sire, mais peut-être un autre que moi aurait su quand même agir sur eux et empêcher tout ce qui est arrivé... — Non, non, interrompit de nouveau l’Empereur, vous avez fait tout ce qui était dans votre pouvoir de faire, mais contre le sort... — l’Empereur se corrigea immédiatement : — contre les décrets de la Providence il n’y a pas à lutter. Je vous exprime ma sincère reconnaissance pour tous vos services en Bulgarie. » — Je m’inclinai profondément. — « Et maintenant, allez chez les Suédois ! » ajouta-t-il avec un gai sourire, en se levant. Pendant quelques minutes encore l’Empereur parla de la Suède, du roi Gustave et de la famille royale. Je remarquai que Sa Majesté parlait de la Suède et de la Cour royale avec beaucoup de sympathie. Son dernier et assez récent voyage à Stockholm lui avait laissé évidemment une très bonne impression. Je fus très gracieusement congédié après une audience qui avait duré une heure.


JE PRENDS CONGÉ DE FERDINAND

Quelques jours après, je quittai la Crimée et me dirigeai, par Odessa et Vienne, à Sofia afin de mettre la dernière main à mon déménagement et de présenter mes lettres de rappel au roi Ferdinand qui, en septembre, était parti avant que ma nomination à Stockholm fût décidée, de sorte que je n’avais pu prendre congé de lui, comme cela se fait toujours en pareil cas. Je passai à Sofia une dizaine de jours. L’avant-veille seulement de mon départ, je fus invité chez le Roi. Ferdinand me reçut dans son cabinet de travail ; il portait la petite tenue de son régiment russe (j’étais aussi invité en redingote) ; à côté du Roi se tenait le prince Boris. M’ayant invité à prendre place, le Roi, après quelques phrases insignifiantes, me regarda fixement et me dit : « Monsieur le Ministre, vous avez probablement lu le pamphlet qu’a écrit contre moi votre compatriote, le correspondant de gazette Untel [1] ; qu’en avez-vous pensé ? » Le Roi parlait en français, mais, comme cela lui

  1. C’était un personnage si insignifiant que son nom ne m’est pas resté en mémoire. Je ne me souviens pas non plus de quelle feuille de second ordre il était correspondant.