Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III. — DEUX VISITES DES ÉMISSAIRES DE VON BISSING :
LE DROIT DU PRÊTRE A PRÊCHER LE PATRIOTISME

Le commerce épistolaire tournait mal pour von Bissing : il paradait, puis s’enferrait. Au printemps de 1915, il essaya d’une autre méthode. Mgr Mittendorf, aumônier en chef des armées allemandes de l’Ouest, se fit annoncer à l’archevêché. L’habit ne fait pas le prêtre : sur l’habit, il y avait des galons, dont cet aumônier était l’esclave. Mgr Mittendorf avait une consigne : il tira de sa poche un papier signé von Bissing, et ponctuellement il le lut, à haute voix. Le cardinal voulait le relire, le garder ; mais von Bissing avait défendu que cette note écrite lui fût laissée, ni même mise sous ses yeux. Singulière note écrite, que le destinataire ne devait connaître que sous la forme d’une note orale ! Von Bissing y demandait si véritablement le cardinal avait écrit à l’archevêque de Paris sans passer par la censure allemande ; et il prévenait que, « par amour pour la paix, par déférence pour le Saint-Siège et pour la pourpre, » on ne punirait pas le délinquant, mais qu’au besoin on déférerait le cas au Saint-Siège.

Un prêtre acceptait cette commission vis-à-vis d’un cardinal. « Vous devriez, Monseigneur, lui dit fermement celui-ci, renseigner M. le gouverneur général sur le mouvement d’une administration diocésaine. » Et l’aumônier Mittendorf réapprit ce qu’est un homme d’Eglise, en écoutant le cardinal revendiquer son droit, comme chef de diocèse, d’écrire librement au Saint-Siège, aux cardinaux. Craignait-on, d’aventure, que d’autres Belges, pour se dérober aux exigences de la censure, ne se prévalussent des immunités spéciales dues à l’office d’archevêque ? Mgr Mercier rassurait finement à ce sujet Mgr Mittendorf :


Les Belges ont du bon sens. Vous autres Allemands, après plusieurs mois d’occupation, vous n’êtes pas encore parvenus à comprendre les Belges. Chez vous, un général commande, et tous les cerveaux obéissent mécaniquement. Ici, le bon sens, le souci d’intérêts supérieurs, interprètent les ordres et dictent les attitudes. Les règlements extérieurs sont pour tout le monde ! sans doute, et c’est en ce sens que je les ai moi-même reconnus. Mais tout le monde les applique en sauvegardant le respect des situations diverses et les obligations qu’elles entraînent.