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des fidèles. Ses espions, apostés au pied des chaires, relevaient d’incessants délits ; et leurs oreilles, souvent, commettaient des contresens. Le cardinal, tour à tour, réfutait toutes ces délations. Et puis, à la mi-décembre, interpellant von Bissing sur les douze mois écoulés, il lui disait : Aucun de vos pronostics sinistres s’est-il réalisé ? Y a-t-il un seul Belge qui ait porté un mauvais coup à un soldat allemand ? « Le clergé belge n’est pas étranger à cette noble et calme attitude. »

Von Bissing répondait qu’il demeurait inquiet, et qu’il ne voulait pas de prêches provocateurs. Au surplus, faisant des compliments à sa façon lorsque le cardinal lui en paraissait digne, il lui notifiait après lecture de sa pastorale sur la Toussaint, que « cette nouvelle manifestation se distinguait avantageusement des précédentes. » Elle n’avait pas été soumise à la censure : le von Bissing du mois de décembre, en s’abstenant d’insister pour cette procédure, se « distinguait avantageusement » du von Bissing du début de l’année.


IV. — COMMENT VON BISSING REFUSA QU’ENTRE LE CARDINAL ET LUI L’ALLEMAGNE CATHOLIQUE FUT JUGE

C’était un progrès qui ne devait pas durer. La presse allemande, en février 1916, s’inquiéta d’un bref voyage que faisait à Rome le cardinal Mercier, à la faveur d’un sauf-conduit qu’avait obtenu pour lui Benoit XV. Elle surveillait ses démarches, les dénaturait. L’accueil triomphal dont en Italie, en Suisse, sa personne et sa cause étaient l’objet, devenait um malaise pour Berlin. Il fallait qu’à son retour cet archevêque expiât : pour aviser, von Bissing était là. Le cardinal, rentrant, sentait les nuages s’accumuler sur sa tête ; mais il envisageait le devoir, non le péril. Le devoir, c’était de raffermir parmi les Belges ce patriotisme et cette endurance que depuis 1914 il prêchait, en leur faisant connaître ce qu’au dehors on pensait d’eux. Et dans toutes les chaires, le 12 mars 1916, une grande espérance souffla : les nouvelles déprimantes sous lesquelles les feuilles allemandes de Belgique s’essayaient à courber les courages furent balayées en un clin d’œil par la lettre pastorale qui parlait de Rome, de l’Europe, de l’Amérique, de Dieu. L’Allemagne avait fait de la Belgique une geôle, où rien qu’elle n’eût filtré ne pénétrait : le cardinal, en revenant s’y incarcérer,