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ecclésiastiques, reprit bientôt la conversation. Il croyait avoir découvert, dans la convention de la Haye, un argument nouveau. Cette convention stipulait, en son article 43, que le pouvoir occupant devait « assurer, autant que possible, l’ordre public et la vie publique. » Von Bissing estimait que les prêtres, en développant dans le peuple belge des sentiments patriotiques, méconnaissaient la situation juridique des populations occupées, telle que la précisait cet article. — Mais non, lui répondait le cardinal : « la patrie belge n’a pas cessé d’être, de droit, une nation autonome, souveraine ; le respect et l’amour du sol et des libertés belges sont donc pour nous un honneur et un devoir. Apprécier cet honneur, prêcher ce devoir, fait partie de la mission sociale du clergé. » Au reste, le cardinal lisait l’article 43 ; il y constatait que le pouvoir occupant devait, « sauf empêchement absolu, respecter les lois en vigueur dans le pays. » Mais alors, pourquoi von Bissing poursuivait-il les délits de prédication, au lieu de « déférer au tribunal ecclésiastique les cas litigieux, par application de la constitution belge ? » Et le cardinal réclamait de lui « une large bienveillance, un esprit de réparation, une volonté efficace de réduire au minimum, pour les Belges, les conséquences fâcheuses d’une occupation viciée dans ses origines. » Voilà deux ans que cette occupation durait ; mais le cardinal, même dans une requête et surtout dans une requête, tenait à ne point passer sous silence le vice originel qui la tarait.

Von Bissing, longuement, ergota de nouveau sur l’état d’occupation : alors le cardinal, arborant cette convention même de La Haye dans laquelle le gouverneur s’embourbait, lui stipulait hautement, dans une lettre du 12 juillet 1916 :


Votre conscience est liée par rengagement qu’a pris votre Empire à La Haye, de ne pas mésuser du pouvoir occupant s’il en devenait un jour le détenteur. Nous sommes impuissants à contenir la force de votre bras militaire ; mais nous avons le droit et le devoir de libérer notre conscience, en vous rappelant que vous rendrez compte un jour, devant le tribunal international de La Haye et devant l’histoire, de l’usage ou de l’abus que vous aurez fait de l’arme du pouvoir.


La voix de la conscience humaine faisait à la conscience allemande la leçon ; et le cardinal prenait l’offensive contre le