Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/646

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’attirance qu’exerçait sur lui cette région pyrénéenne, en lisière de l’Espagne. Est-ce parce qu’il tenait d’une grand’mère gaditane une goutte de sang espagnol ? Est-ce tout simplement parce que ce coin de terre est celui où il retournait chaque année pendant la période bénie des vacances, pour y retrouver la maison de famille, la maison douce et riante où de la glycine montait à son balcon. C’est là qu’il goûtait le charme de s’appartenir, de flâner, de rêver en liberté. Parce qu’il y fut parfaitement heureux, tout ce pays lui devint cher. Témoin certains vers de Cyrano où tremble une larme : lui aussi, à entendre « les vieux airs du pays au doux rythme obsesseur, « voyait s’évoquer le val, la lande, la forêt, « et la verte douceur des soirs sur la Dordogne. » Témoin cette nostalgie qui lui fit, au lendemain de ses grands succès, choisir un cadre de nature voisin de celui où s’était écoulée son enfance, pour y créer cette propriété de Cambo, merveilleux jardin ouvert de tous côtés sur les Pyrénées. Luchon fut pour lui ce qu’avait été pour Victor Hugo la « vieille ville espagnole » de Besançon. Il y respira ce « rien de bravade espagnole, » qui, deux fois déjà, au début du XVIIe siècle et au début du XIXe , avait passé les monts. Et il y prit encore ce goût pour la truculence et le gongorisme, qui est, lui aussi, partie intégrante de nos deux romantismes.

Midi de Provence ou Midi de Gascogne, ils ont mis du soleil dans son imagination, de ce soleil qui égaie jusqu’à la tristesse et jusqu’à la misère. La fée qui s’est penchée sur son berceau, c’est la bonne vieille qui portait dans sa brouette un morceau de soleil. Et quand il écrira l’Hymne au soleil « sans qui les choses Ne seraient que ce qu’elles sont, » ce sera, de sa part, une action de grâces.

Il a grandi dans une de ces familles privilégiées, où le culte des lettres est de tradition, comme la noblesse morale. On y était, de naissance, poète et musicien. Le père d’Edmond avait traduit Catulle en vers délicats ; son oncle, qu’aux derniers temps de sa vie il ne manquait pas d’aller voir un seul jour, avait fait des opéras. Douceur exquise d’un foyer français dans un milieu cultivé :


Mon père traduisait Catulle
Et ma sœur déchiffrait Mozart !


Edmond Rostand y prit une fois pour toutes l’habitude de