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V


A Madame Hanska, Hôtel de Saxe, à Dresde

(Passy, 17-26 février 1845.)

Lundi 17 (février).

Je suis allé hier entendre la symphonie du Désert, et j’en suis revenu tout abasourdi. Rien de mieux n’a été fait, depuis Beethoven, dans ce genre, toujours Rossini hormis.

Ça vaut la peine de faire le voyage de Paris pour entendre un pareil chef-d’œuvre, car vous savez que rien ne peut se comparer à l’exécution de Paris en fait de musique. Voilà la première fois que la fougue parisienne ne se trompe pas sur le pavois de la sottise.

Il m’est impossible de reconquérir la tranquillité de ma tête, de me mettre à l’ouvrage ; j’ai été trop agité. Je le suis encore trop. Je suis au désespoir. Je voudrais, pour bien des choses, avoir fini ces stupides Paysans.


Mardi 18 (février).

Je vais ce matin voir le groupe de Léandre disant adieu à Hero avant de se noyer, chez Etex, et je dirai bonjour à David en même temps. Je dine après chez M. de Castellane-Théàtre, pour le distinguer des autres.


Mercredi 19 (février).

Le groupe est magnifique, et Etex le donnerait pour quinze mille francs ! Il lui en coûte douze mille ! J’avoue que je ne vois pas une grande différence entre ça et les chefs-d’œuvre de l’antiquité. C’est sublime. Mon buste vient demain chez moi. C’est encore une magnifique chose, qui est à vous ; je m’en réjouis pour toi, chérie. Ceci n’ira pas au Salon, David ayant mis dessus : « A son ami de Balzac, P.-J. David d’Angers, » et le règlement interdit toute inscription. Hier, j’ai perdu dix louis chez Mme Merlin. J’ai pensé que j’allais avoir une bonne nouvelle de Dresde, et voilà trois heures : pas de lettres ! Je n’ai rien vu de plus charmant que les nouveaux appartements de M. de Castellane. C’est... comment dire ? Royal ! C’est peu de chose. Un diner superbe ; j’étais entre deux femmes de beauté contestable : la princesse de Béthune et une autre. Beaucoup