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je suis comme un mollusque devant ma table. Je n’ai d’énergie que pour me tourmenter. Et cette œuvre est la clef de voûte dans mes dettes ; elle représente quarante-cinq mille francs ! Elle me libère de ce qui m’ennuie le plus ; elle achève le prix de mon terrain ! Tiens, la folie me gagne en écrivant ces lignes ; j’ai le vertige !

Allons, que mes douleurs se taisent ! Je ne veux pas te les communiquer ; tu as assez de tes souffrances. Une autre fois, si jamais cette crise se représente, je n’écouterai que moi.

Ce mot d’Anna : « un Etranger, » me fait du chagrin. Si elle aime le comte Georges, tout est bien ; mais je reviens à mon thème, et je dis que je ne vois que des malheurs pour la Pol(ogne), tant que vivra le système actuel. On veut vous détruire à tout prix. Epouser un Polonais) plein de moyens, de patriotisme et de courage, c’est acheter un glorieux malheur et attirer la foudre sur soi ; c’est tenter la délation ; c’est un désastre en herbe. Epouser un Polonais) sans énergie, c’est dissiper la fortune. A moins de révolutions impossibles ou imprévisibles, Kosciuszko a dit un mot prophétique : Finis Poloniae.

J’ai dit tout cela au (feu) comte, au Pré-Lévèque [1], en l’engageant à sauver sa fortune, en la faisant passer à l’étranger, et (en) se choisissant une autre patrie. Plus nous allons, plus grande est la nécessité de (suivre) cet avis. Dans dix ans la carte de l’Europe sera refaite à cause de l’Orient. La Pologne sera prussienne ; les bords du Rhin, français ; les quatre principautés, autrichiennes et russes et la Mer-Noire un lac russe, et le sort du monde se décidera dans la Méditerranée comme toujours. Devenir Prussiens, voilà votre plus bel avenir.

Il n’y a, pour changer cela, qu’une révolution) russe, car, par ici, nous sommes à la tranquillité pour longtemps. L.-Ph(ilippe) vivra dix ans (encore), à la manière dont il se porte, et nous allons être engagés dans douze millions de travaux pour nos chemins de fer, notre Algérie, notre Marine. La paix de l’Europe est là. Mais après, la France sera formidable, car nous sommes très riches, plus riches que l’Angleterre, sans que ceci soit paradoxal.

La conclusion est que vous avez eu tort, ma chérie, de ne pas plaider pour le Silésien, s’il était riche surtout. Ça vaut

  1. A Genève.