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Elle dit : « Hâte-toi de m’aimer. Vois, j’arrive
« Et s’efface déjà l’empreinte de mes pas...
« Car je suis éphémère et je suis fugitive ;
« Je ne suis qu’un instant... Viens dormir dans mes bras.

« Je ne t’apporte rien qu’un mensonge et qu’un leurre ;
« Je ne suis qu’un reflet qui danse sous le ciel,
« Une beauté que change et que dévore une heure...
« Je ne t’apporte rien de pur ni d’éternel.

« Je ne suis qu’un moment de flamme parfumée ;
« Bientôt je serai cendre entre tes bras déçus,
« Je ne t’apporte rien... et pour m’avoir aimée
« Tes paradis futurs seront des cieux perdus.

« Je suis, sous l’aube pâle et sous la lune courbe,
« Le fantôme charmant de la félicité.
« Tu vois, d’autres crieront que je suis fausse et fourbe...
« Mais je te dis, cher saint, toute ma vérité.

« J’ai la limpidité des eaux sombres et pures ;
« Et pourtant, tout au fond de mon œil innocent,
« Brille le feu sans fin des antiques luxures...
« Je t’offre ma sueur, mes larmes et mon sang...

« La forme de mon ombre est ta tombe... Ton âme,
« Déjà, cherche au delà des portes de mon corps
« Tout un ciel étoile de tourments et de flammes...
« Entre dans ta prison. C’est moi qui suis la mort... »

— Et lui, qui dédaignant la joie et la puissance
N’avait jamais aimé que d’humbles paradis,
Tendit ses bras tentés vers ton rêve, ô souffrance !
Et déjà torturé, cria : Je te choisis !................
…………………

C’est un très vieux tableau que l’on voit à Vérone
Dans une salle froide et de jour orangé ;
Le dessin est mauvais, la couleur n’est pas bonne,
Et l’Ermite si laid, que je m’en suis vengé.