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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/895

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plus que les soldats de F. Banning Cocq, à la dépense de cette toile ?

Dans son portrait gravé du Peseur d’or, n’avait-il pas introduit plusieurs personnages et un décor proportionnellement aussi important, comme dans les deux Coppenol, l’eau-forte du Jan Six et le portrait d’Abraham Francen ?

Il lui fallait une ambiance pour faire vivre ses portraits, pour les personnaliser mieux dans une attitude, dans une action expressive, dans un décor familier.

L’exécution même de la Prise d’armes corrobore exactement les précisions des documents écrits. Tout est coordonné pour mettre en évidence les deux personnages, et eux seuls, tant par les harmonies de la coloration que par la plantation du groupe principal, par rapport à l’ensemble. Le grand géant de Brème, tout en noir, en costume d’échevin, avec seulement l’écharpe et le hausse-col damasquiné de son haut grade militaire, escorté du fin lieutenant qui l’écoute attentivement, expriment bien dans leur attitude et dans leur exécution picturale, cette suprématie distante qu’on trouve dans la rédaction du titre exact de ce tableau. Là, s’est concentré tout l’effort du grand artiste, le reste n’étant qu’un accessoire épisodique, comme la veuve de Renier Ansloo, les élèves de Nicolaes Tulp et plus tard ceux de Joan Deyman dans l’autre Leçon d’anatomie, qui fut détruite, en partie, dans l’incendie de la Gilde des chirurgiens, en 1723, et dans tant d’autres portraits peints ou gravés par lui. Et cependant cet accessoire n’est pas indifférent, ni fantaisiste, comme on l’a cru jusqu’ici. Fromentin, qui l’a critiqué avec un certain respect et dans une langue admirable, ne semble pas avoir jeté les yeux sur le détail des tableaux de Govaert Flinck, ni de Van der Heltz, où les costumes sont tout aussi panachés, où les armes sont fort diverses et cependant rigoureusement semblables à celles peintes par Rembrandt. Mais son rôle est de second plan et sert à créer l’ambiance, la vie ardente de ce morceau de vie hollandaise, projeté si impérieusement sur le vaste écran du tableau, par un visionnaire qui savait condenser et résumer une multitude d’images perçues par son cerveau, en un groupe expressif dominant, qui caractérise, à jamais, la scène qu’il a voulu rendre.

Mais encore faut-il savoir quel était son but ? On le comprend si bien dans les Pèlerins d’Emmaüs, dans le Bon Samaritain,