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février 1871. Faut-il rappeler qu’à cette époque trois listes furent établies dans le Bas-Rhin, tout comme ce fut le cas de nos jours ?


Ce qu’il importe encore de retenir, c’est le caractère patriotique qui a marqué les réunions publiques. Je suis, depuis vingt ans, mêlé à la politique alsacienne et lorraine, j’ai assisté à bien des réunions électorales sous le régime allemand. A cette époque, il ne m’est jamais arrivé d’entendre un auditoire alsacien lever une séance au cri de : « Vive l’Allemagne ! » ou en chantant le Heil Dir im Siegerkranz.

Quelle différence, cette fois ! Je garderai longtemps le souvenir d’une réunion contradictoire qui eut lieu le 12 novembre à Bischwiller, l’ancienne cité des drapiers alsaciens, dans une salle de l’hôtel du Lion que les Allemands appelaient « Hôtel Vive la France » parce que les patriotes de l’endroit s’y retrouvaient chaque jour devant les chopes de bière blonde. Bischwiller est une petite ville où la population ouvrière est assez fortement représentée. C’est dire que les électeurs socialistes y sont nombreux. La salle était bondée. Contre tout usage, les ouvriers occupaient les sièges de droite, alors que les patrons et petits bourgeois se tenaient à gauche. On était plutôt en famille qu’entre adversaires.

Aux murs, des tentures où sont piquées de grosses cocardes tricolores. C’est un notable du lieu qui préside, M. Vonderweidt, ancien sergent-major français de 1870, emprisonné pendant la Grande Guerre par les Allemands. Il arbore à la boutonnière le ruban des vétérans de 1870.

Deux orateurs du Bloc National, le docteur Oberkirch et M. Charles Frey, prennent la parole en dialecte alsacien et disent la joie qu’éprouve l’Alsace à faire des élections françaises. Trois orateurs socialistes leur succèdent. Ils se défendent d’être des révolutionnaires, voire des bolchévistes. La réunion, commencée à huit heures, ne prend fin qu’à-onze heures. Le président adresse quelques mots de remerciement aux auditeurs et, se tournant vers les candidats, leur dit : « Quant à vous, retenez ceci : une fois à Paris, faites le moins possible de politique de parti. Contribuez surtout à remettre la France debout ; faites de bonne besogne pratique ! » Cela est dit sur un ton