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du traité de Versailles qu’elle y parviendra. C’est pour cette raison que les partis impérialistes, inquiets, se sont efforcés de gagner du temps. Et c’est pour cette raison aussi que les Alliés ne peuvent pus supporter ces procédures dilatoires. L’Allemagne subit l’influence de ses anciens dirigeants ; elle ne néglige rien pour s’armer ; elle cherche à éluder des causes essentielles du traité ; elle est encore assez peu informée de ses responsabilités pour ne pas réclamer d’elle-même la punition des coupables. Un énergique rappel à l’ordre était nécessaire, et il a été adressé à Berlin par le Conseil suprême. Mais sera-t-il suffisant ? Des paroles, même vigoureuses, pourront-elles persuader un gouvernement menacé d’une crise intérieure, et incliné vers le militarisme ? Une note, si elle n’est pas appuyée par des mesures de coercition, ramènera-t-elle l’Allemagne encore arrogante au sentiment de sa défaite ?


Les événements de Berlin rendent plus utile que jamais l’union des puissances alliées et associées. Ils expliqueraient à eux seuls avec quelle attention toute l’Europe a suivi en ces derniers temps la discussion engagée en Amérique autour du traité de paix. Il n’est pas impossible qu’à Berlin même les nouvelles venues de Washington aient encouragé le gouvernement à retarder la signature du traité et à attendre les circonstances qui pourraient se présenter. Le Sénat américain, après plusieurs semaines de discussion, n’est pas arrivé à conclure : il semble partagé en deux partis dont l’un est trop faible pour faire ratifier le traité, et dont l’autre n’est pas assez fort pour le faire modifier. Le débat a été interrompu sans qu’intervienne une solution qui paraît être, à première vue, à la fois impossible et nécessaire. On comprend que devant une situation aussi confuse, l’opinion européenne soit un peu déconcertée. Elle se rappelle le magnifique exemple donné au monde par les États-Unis, quand ils sont entrés dans la guerre pour défendre l’intérêt supérieur de la liberté et du droit et quand ils ont repris pour leur compte l’admirable parole de La Fayette à Silas Deane : « Il faut montrer de la confiance : c’est dans le danger que j’aime à partager votre fortune. » Elle a quelque peine à saisir pourquoi aujourd’hui ce même peuple paraît hésiter à achever son œuvre. Au moment de consacrer la victoire à laquelle elle a si puissamment contribué et de ratifier un traité qui a été élaboré sous l’inspiration de son représentant, l’Amérique lui semble incertaine. De là à imaginer qu’un changement s’est produit dans l’esprit américain, la transition serait facile, et elle risquerait de l’être