24 juillet.
Un confrère américain, qui est resté en Allemagne jusqu’à l’entrée en guerre des Etats-Unis et y est revenu peu de temps après l’armistice, me donne quelques renseignements sur l’état de l’opinion et sur les dispositions des journaux. « Comme Français, — me dit-il, — vous aurez quelque peine à remplir ici votre mission d’informateur. Durant les premières années de la guerre et jusqu’au moment de notre intervention, les Allemands affectaient, en paroles, de ménager la France ; leurs injures semblaient réservées à l’Angleterre. Cette attitude était-elle dictée par l’espoir d’amener la France à une paix séparée ? je l’ignore. Mais aujourd’hui il n’en est plus ainsi. On attribue surtout à la France la rigueur des conditions de paix ; depuis le traité de Versailles, les Français sont devenus les plus haïs, les plus décriés des ennemis.
« J’ai observé le même changement dans la presse, qui, d’une manière générale, est restée l’instrument docile que vous avez connu autrefois. Quel que soit le gouvernement, les directives qu’il donne en matière de politique extérieure sont très rarement discutées par les journaux : les rédacteurs s’y conforment avec plus ou moins d’habileté. Il n’y a pas encore longtemps, la consigne était de critiquer sans aucun ménagement la politique européenne des Américains, particulièrement l’action et même la personne du président Wilson. Mais ensuite des pourparlers ont été engagés entre Berlin et New-York en vue d’un emprunt. Nouveau mot d’ordre : les journaux sont invités à ne parler de M. Wilson et de l’Amérique qu’avec la plus grande réserve ; et cette consigne sera respectée jusqu’à ce que les négociations en cours aient abouti.
« — Alors, dis-je, cet esprit de révolte, ce parti-pris d’indépendance et d’indiscipline dont on nous a tant parlé ?
« — Vous les constaterez dans le peuple, chez les ouvriers, les tout petits employés, les domestiques. Les gens de cette classe, usés par le rude et long effort qu’on a exigé d’eux, cruellement déçus par le résultat auquel cet effort a abouti, ont pris le travail en dégoût, en même temps qu’ils ont perdu toute confiance dans les dirigeants. Les services publics ne se ressentent