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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/363

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comme en Norvège, on devait comprendre encore mieux qu’à Stockholm la portée et la gravité de ce qui se passait et qu’on y serait surtout anxieux de voir le chef du gouvernement français revenir en toute sécurité et au plus vite à son poste. Je causai ensuite et sur les mêmes sujets avec M. Viviani, En ce moment, comme de beaux accords de voix se faisaient entendre, le Roi et son hôte se souvinrent de l’audition des sociétés chorales qui figurait sur le programme, passèrent dans la salle voisine et écoutèrent et applaudirent quelques morceaux. C’est égal, jamais les jolies chansons populaires et les beaux chants patriotiques de Suède ne furent écoutés d’une oreille aussi distraite que cette fois-là. Tout le monde avait hâte d’en finir avec les conventions et les fatigues de la fête officielle ; et il y eut un soupir de soulagement lorsque le signal du départ fut donné. Un quart d’heure plus tard, en longeant en automobile le quai opposé au débarcadère du château, je vis de loin le beau spectacle du départ des hôtes français, éclairés d’une masse de flambeaux ; des lueurs rouges tremblaient dans l’eau et lui donnaient un reflet de sang. « Voici bien la torche de Bellone, » me dis-je avec un frisson involontaire...


Le lendemain dimanche, on eut la nouvelle de la réponse serbe à l’ultimatum austro-hongrois et du rejet de cette réponse. Lorsque parut, le lundi, à Stockholm le texte même de la note serbe, je pus me rendre compte de la gravité du danger que courait la paix de l’Europe. Malgré la haute opinion que j’avais de la prudence de M. Pachitch, je ne m’étais pas imaginé que la Serbie eût pu faire preuve de tant de mesure et de tant d’obéissance à nos conseils. L’ultimatum inouï, brutal de Vienne était accepté sauf un seul point, — celui qui visait tout simplement à remplacer dans le Royaume la police nationale par la police austro-hongroise. Et les restrictions serbes au sujet de ce seul point avaient suffi pour que l’Autriche n’acceptât pas la réponse et rompît toutes relations diplomatiques avec sa voisine ! Il était clair comme le jour qu’on avait irrévocablement décidé à Vienne, ainsi qu’à Berlin, — l’exécution de la Serbie. Or, comme je prévoyais que la Russie ne pourrait pas tolérer cette brutale exécution, il devenait presque certain pour moi que, dans peu de jours, mon pays se