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maquiller au point qu’il verse de vraies larmes en prononçant l’attendrissante apologie des bonnes mœurs ! Or c’est à lui qu’est confié le trésor que tous les partis convoitent, dont la possession le mettra, en cas d’un revirement politique, à l’abri du châtiment auquel, sans cette magique sauvegarde, il ne pourra se soustraire ; ce trésor est à sa discrétion, il en répond ; il périra si quelque autre, plus entreprenant, parvient à s’en emparer. Est-il possible que lui, disposant de toutes les facilités, pénétrant au Temple à volonté, tandis que l’entrée en est interdite à tout autre, même aux membres de la Convention qui s’y présentent sans mandat spécial ; lui connaissant à fond, pour les avoir pratiqués et maniés à sa fantaisie, tous ses collègues de la Commune qu’il tient par la peur ou par la camaraderie ; lui ayant seul la ressource, si ses machinations étaient éventées, d’arguer de son devoir et de sa responsabilité, est-il possible qu’un tel homme, en cette situation, ne rumine pas que ce serait trop sot de laisser pareille aubaine profiter à ses adversaires et de supporter qu’une belle nuit on vienne frapper à sa porte pour lui annoncer que le petit Capet a disparu et qu’il est en fuite ? Il y a un mot de Chaumette qui projette sur sa tactique une lumière singulière ; parlant de ses ennemis, il disait : « Si nous ne les devançons pas, ils nous devanceront. »

On n’a pas la prétention d’établir ici, par preuves, que Chaumette a fait évader le Dauphin ; on cherche seulement à Accorder entre elles certaines constalations qui n’ont point encore été conférées l’une à l’autre et dont l’ensemble révèle, à n’en point douter, un plan longuement et précautionneusement mûri. La conception est-elle de Chaumette seul ; ou d’Hébert, son inquiétant substitut ; de Chaumette et d’Hébert collaborant ? Peu importe ; les faits indiscutablement authentiques qui la dévoilent portent indifféremment la marque de ces deux hommes : encore qu’ils s’observassent avec méfiance, ils marchaient, comme on dit, « la main dans la main ; » ni l’un ni l’autre, en une si profitable entreprise, ne pouvant espérer se cacher de son compère, le mieux était de faire « part à deux. »

Ce qui frappe d’abord, c’est l’accord absolument parfait qui règne entre eux touchant l’avenir réservé au petit Roi. Hébert apprécie la valeur de cet enfant ; il dit un jour à la Commune : « Dans l’esprit des royalistes et des modérés, le Roi ne meurt