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est tel vers de Ronsard qu’il trouvait sublime et qu’il vous jetait à la tête comme une bravade : « Certes, je te dirais du sang Valésien. »

Il avait fait de trois vers de Chapelle et Bachaumont une véritable scie :

Pour si belle offre de service,
Grand merci, M. d’Assoucy ;
M. d’Assoucy, grand merci…


Il les reprenait sur tous les tons ; il entrait au café en les roulant dans ses moustaches et il les répétait encore en sortant :

Grrrand merci, M. d’Assoucy ;
M. d’Assoucy, grrrand merci.


Il aimait ce Voyage de Chapelle et Bachaumont, qui était un peu le modèle des causeries mêlées de citations qu’il donnait alors à la Gazette de France.

Il avait la plus grande admiration pour Malherbe, dont il savait par cœur une foule de vers, notamment ceux-ci, qu’il déclamait avec enthousiasme :


Apollon, à portes ouvertes, etc.


On ne peut pas dire qu’il fût de ses propres vers lecteur infatigable. Il ne consentait à réciter ses poésies que chez des intimes, et encore fallait-il l’en prier. On se réunissait le soir, il y a des années de cela, rue de Rennes, chez notre ami l’éditeur Putois-Grété. Il y eut des séances mémorables. C’est là que Moréas se levait, se campait, et, après avoir bien effilé sa moustache et remonté son épaule, commençait quelqu’une de ses truculentes poésies, comme le Ruffian ou la Dame du vieux Tintoret :


Quelle est cette aubade câline.
Chantée on dirait en bateau ;
Et quel est ce pizzicato
De guitare et de mandoline ?
Et cette dame, quelle est-elle,
Cette dame que l’on dirait
Peinte par le vieux Tintoret
Dans sa robe de brocatelle ?


Moréas savait donner aux vers toute leur plénitude reten-