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pour faire l’apprentissage du rôle d’arbitre entre les partis. L’élection de Versailles est, avant tout, un hommage rendu à sa droiture. Il faut y voir aussi le sentiment généreux et confiant d’une démocratie qui reconnaît en l’un des siens les traits essentiels de ce qu’elle honore et de ce qu’elle aime et qui est heureuse de lui remettre le soin de la représenter. M. Paul Deschanel répondra certainement à ces espérances : il aura le tact, la bonne grâce et la tenue que demande la plus haute magistrature de l’État; il aura aussi l’énergie et le sens des responsabilités que les temps peuvent exiger.

Nous ne serions pas exacts si nous n’ajoutions que l’élection de M. Paul Deschanel a été accompagnée, chez ceux qui n’étaient pas au courant de la marche des affaires politiques, d’une certaine surprise. On s’attendait à ce que M. Clemenceau fût candidat au Congrès de Versailles et en ce cas on s’attendait à ce qu’il fût élu. Telle était encore la croyance générale du public au lendemain des élections sénatoriales du 11 janvier. Mais peu de temps suffit à changer toutes choses, et l’histoire est pleine de ces revirements par où la face des événements est soudain transformée. C’est du moins l’apparence. La réalité montre que les changements peuvent éclater brusquement, pour l’enchantement des novateurs, mais qu’ils se préparent lentement par une série de modifications à peine perceptibles. Quand le fait éclate, il est comme la floraison subite à nos yeux d’un travail profond que nous n’avons pas observé. L’élection présidentielle n’a pas échappé à cette loi. Si elle s’est décidée vite, elle ne s’est pas accomplie sans réflexions préalables, et sans une révision sérieuse de la situation politique. Nous avions signalé dans notre précédente chronique l’état général de l’opinion au sujet de la candidature de M. Clemenceau, mais nous avions ajouté deux remarques : l’une était que M. Clemenceau serait élu s’il en manifestait véritablement le désir, l’autre était que l’élection présidentielle dépendait le plus souvent des derniers jours qui s’écoulent immédiatement avant le Congrès. Que voulait au fond du cœur M. Clemenceau ? Que pensait à part soi le Parlement ? L’un et l’autre se réservaient, et tandis qu’ils gardaient cette attitude fermée, l’un et l’autre méditaient. Toute la péripétie historique, qui s’est déroulée du 12 au 17 janvier et qui est si importante pour notre vie publique, a tenu dans cet examen silencieux de la situation.

Lorsque le Parlement est rentré le 13 janvier, il avait à choisir entre deux conceptions de la Présidence de la République : il